Les archives de Tiananmen

Les archives de Tiananmen

Paru le 5 février 2004
ISBN : 2-86645-536-3
Livre en librairie au prix de 29.90 €
650 pages
Collection : Histoire et sociétés
CHAPITRE UN


8 – 23 avril
Le début du mouvement étudiant

NOTE DES EDITEURS : La mort consécutive à une crise cardiaque de Hu Yaobang, dirigeant réformateur populaire, le 15 avril, suffit à attiser les divisions au sein des élites et à enflammer le mécontentement populaire. Aux yeux de la direction du Parti, Hu était un « combattant communiste loyal » et un « grand révolutionnaire prolétarien », mais pour les étudiants, il était le symbole d’une réforme libérale et d’un gouvernement intègre. Ces derniers organisèrent spontanément des activités de commémoration, utilisant la mort de Hu comme une occasion d’exprimer leur mécontentement face à la lenteur du changement politique. Ces activités s’étendirent rapidement, prenant les dirigeants au dépourvu et suscitant l’attention de l’étranger.
Au début, la plupart des étudiants se montrèrent soucieux de respecter les lois ambiguës imposées par le régime en matière de liberté d’action et d’expression. Ils défilèrent plus en signe de deuil que de protestation, et focalisèrent leur message sur la contribution de Hu Yaobang au Parti, sur la nécessité d’accélérer la réforme politique et sur la dénonciation de la corruption. Mais une minorité souleva des questions plus épineuses, comme la démocratie et la liberté de la presse, et cria des slogans teintés d’hostilité à l’endroit du Parti et de certains dirigeants. Les dirigeants, quant à eux, étaient divisés sur la manière d’évaluer la menace représentée par le mouvement étudiant.
Les représentants du gouvernement ayant refusé de rencontrer les étudiants pétitionnaires au Palais du peuple, un sit-in fut mis en place le soir du 19 avril devant la porte Xinhua à Zhongnanhai. Les ministères de la Sécurité et les gouvernements locaux rendirent compte presque heure par heure et université par université des activités des étudiants à Pékin et dans tout le pays. Deux rapports des autorités de la municipalité de Pékin à l’attention du Comité central présentaient le mouvement étudiant comme dangereux. L’émergence d’organisations étudiantes autonomes ne fit que renforcer le défi lancé au régime, et les opinions se durcirent parmi les Anciens.
Quand les dirigeants se réunirent pour les funérailles de Hu le 22 avril, ils furent confrontés à une manifestation importante mais pacifique devant le Palais du peuple. Bien que cette manifestation fût extrêmement inquiétante, Zhao Ziyang parvint à gagner le soutien de Deng Xiaoping et l’emporta sur ses collègues du Bureau politique, les convaincant d’adopter une ligne modérée envers les étudiants. La direction semblait alors croire qu’ayant fait passer leur message, ils étaient prêts à reprendre les cours. Cette supposition se révéla totalement fausse, mais Zhao restait confiant que tout allait bien se passer alors qu’il s’apprêtait à partir en Corée du Nord pour une visite officielle d’une semaine. Son absence s’avéra cruciale pour les décisions qui allaient être prises.

8-15 avril
LA MORT DE HU YAOBANG

Le 8 avril à 9 heures, dans le pavillon Qinzheng de Zhongnanhai, Zhao Ziyang présida une réunion du Bureau politique destinée à échanger les points de vue sur un document intitulé « Décision du Comité central sur certaines questions ayant trait au développement de l’éducation et à la réforme (projet) ». Bien que déchu de ses fonctions de secrétaire général du Parti en janvier 1987, Hu Yaobang continuait de siéger au Bureau politique et participa à cette réunion. Le président de la commission d’Etat à l’éducation Li Tieying briefa les membres du Bureau politique.

A partir de notes prises par des participants sur un rapport oral présenté par Wen Jiabao en sa qualité de secrétaire des comités du Parti des unités placées sous le contrôle du Comité central et de directeur du Bureau des affaires générales du Comité central, aux hauts cadres de ces bureaux, et sur un rapport oral de Luo Gan, secrétaire général du Conseil des affaires de l’Etat et secrétaire des comités du Parti des organisations d’Etat de niveau ministériel aux hauts cadres de ces bureaux.

Pendant cette présentation, Hu Yaobang était assis. Il avait les traits tirés. Le ministre de la Défense Qin Jiwei a déclaré plus tard : « J’ai senti que le camarade Yaobang n’avait pas bonne mine dès le début de la réunion. Son visage devenait de plus en plus livide. Mais tout le long il s’est efforcé de faire comme si de rien n’était. » Au bout de trois quarts d’heure, alors que Li Tieying passait en revue l’évolution du budget de l’éducation ces dernières années, Hu semblait très mal en point. Il a tenté de se lever pour demander à Zhao Ziyang l’autorisation de quitter la réunion, mais, à moitié levé, il avait à peine dit « Camarade Ziyang… », qu’il s’est effondré sur sa chaise. Sa main toujours levée semblait dessiner un demi-cercle. A cet instant-là, tous les participants, surpris, se sont levés maladroitement et ont fixé le visage livide de Hu.
« C’est sûrement une crise cardiaque… Il ne faut pas le bouger », a dit l’un des participants.
« Est-ce que quelqu’un a de la nitroglycérine ? », a immédiatement demandé Zhao Ziyang.
« Oui, moi ! », a répondu Qin Jiwei qui lui aussi souffrait d’une maladie cardiaque. Il a pris deux pilules dans sa serviette et les a placées dans la bouche de Hu Yaobang. Puis il s’est adressé à Hu Qili, qui accourait vers lui : « Allongeons vite le camarade Yaobang par terre ».
Hu a lentement ouvert les yeux. Le personnel s’est empressé de téléphoner à l’hôpital de l’Armée populaire de libération 305, situé à deux pas de Zhongnanhai. Au bout de dix minutes environ, une équipe de secours est arrivée. Dans l’après-midi, l’état de Hu s’était un peu amélioré et il a été transféré à l’Hôpital de Pékin pour être mis en observation.
Tout le monde était inquiet de l’état de santé de Hu, mais personne ne s’attendait à ce qu’il meure. L’Hôpital de Pékin envoyait des rapports quotidiens au Bureau des affaires générales du Comité central qui étaient ensuite transmis par son secrétariat à Zhao Ziyang et aux membres du Bureau politique. Tous les rapports semblaient indiquer que Hu était sur la voie d’un lent rétablissement.
Aussi l’annonce de sa mort le 15 avril a-t-elle été un véritable choc. Dès qu’il a reçu l’avis urgent de Wen Jiaobao, Zhao a décidé de convoquer tous les membres du Bureau politique qui se trouvaient alors dans la capitale à une réunion destinée à préparer les funérailles de Hu et à rédiger un éloge funèbre. Il a également donné au Bureau général l’ordre d’ « informer les vieux camarades tels que Xiaoping, Chen Yun, Xiannian, Peng Zhen, Yingchao, le maréchal Xu et le maréchal Nie ». Cette réunion matinale a été aussi sombre que rapide.
« Nous sommes attristés et choqués par le décès du camarade Yaobang », a déclaré Zhao Ziyang.
« C’est vraiment dommage », a ajouté Yang Shangkun. « Qui aurait pensé qu’il nous quitterait si vite ? »
Zhao a alors abordé la question de la formation du comité funéraire et d’autres questions pratiques. Il a commencé par sa propre évaluation de la vie de Hu : « Le camarade Yaobang était un combattant communiste loyal et qui avait fait ses preuves, un grand révolutionnaire et un grand homme politique prolétarien, un travailleur politique hors du commun dans notre armée et un dirigeant de premier rang qui, sur une longue période, a occupé de nombreuses fonctions dans le Parti. Les funérailles du camarade Yaobang doivent être celles réservées à un membre du comité permanent du Bureau politique. »
« Je suis entièrement d’accord avec la suggestion du camarade Ziyang », a dit Yang Shankun.
« Est-ce que les camarades ont des remarques sur l’évaluation ou sur les dispositions funéraires ? », a demandé Zhao.
Comme personne n’avait d’objection, Zhao Ziyang a poursuivi : « Sur l’évaluation du camarade Yaboang, il nous faut absolument « chercher la vérité dans les faits ». Que le Bureau des affaires générales transmette le projet d’éloge funèbre aux vieux camarades Xiaoping, Chen Yun et Xiannian pour connaître leur avis. Camarades [Hu] Qili et [Wen] Jiabao, pouvez-vous consulter la camarade Li Zhao à propos les dispositions funéraires ? »
Lors de cette réunion, Zhao Ziyang a également soulevé la question de la stabilité de la société. Il a déclaré : « Camarade Qiao Shi, fais très attention à l’impact que la mort du camarade Yaobang peut avoir sur la société. »
Qiao Shi a répondu : « En ce moment la situation sociale est bonne dans tout le pays. La société est plutôt stable. Il n’y a aucun signe de troubles à grande échelle ou organisés. Le personnel à tous les niveaux des systèmes de la sécurité et de la justice surveillera de près les réactions de la société à la mort du camarade Yaobang. »
Yao Yilin a ajouté : « Aujourd’hui, les prix ne cessent d’augmenter et le fossé entre les pauvres et les riches continue de se creuser. Nous devons nous assurer que certaines personnes n’utilisent pas le deuil du camarade Yaobang pour faire valoir leurs revendications ».
« Camarade Tieying, a dit Zhao Ziyang, nous devons surveiller de près la situation dans les universités, surtout dans des établissements comme l’Université de Pékin. Parce que ce sont toujours les étudiants qui sont les plus sensibles. » « Il n’y a pas de problèmes dans les universités, a répondu Li Tieying, et il est peu probable que de graves désordres se produisent. »
Li Ximing, secrétaire du comité du Parti de la municipalité de Pékin, a déclaré : « Il nous faut absolument garantir le maintien de l’ordre dans la capitale et assurer la stabilité sociale pendant les cérémonies commémoratives du camarade Yaobang. »
« Camarade Qili, a dit Zhao Ziyang, demande à l’agence Chine nouvelle de publier immédiatement un communiqué. En même temps, surveille la manière dont, à l’étranger, on réagit au décès du camarade Yaobang. Ensuite, Zhao Ziyang s’est adressé à Rui Xingwen, le secrétaire du secrétariat du Comité central responsable de la propagande et de l’opinion publique : « Camarade Xinwen, ce soir le Comité central va publier un communiqué sur les funérailles du camarade Yaobang qui devra être diffusé à la radio populaire centrale et à la télévision centrale chinoise (CCTV). Peux-tu en informer le ministère de la Diffusion pour qu’il demande aux stations de se tenir prêtes ? »

Le secrétaire de Deng Xiaoping, Wang Ruilin, observa la réaction du vieux dirigeant à l’annonce de la nouvelle du décès de Hu Yaobang le matin du 15 avril : « Il éteignit immédiatement sa cigarette et croisa faiblement les mains sur sa poitrine. Puis, quelques instants plus tard, il alluma une autre cigarette et tira dessus avec force ». L’après-midi, lorsque Zhao Ziyang se rendit chez Deng rue Miliang dans le district de Di’anmen pour lui annoncer en personne la mort de Hu, Deng s’était remis des ses émotions et avait demandé à son épouse Zhuo Lin de téléphoner à la veuve de Hu, Li Zhao, pour lui présenter ses condoléances. Il dit à Hu qu’il était d’accord avec la déclaration du Bureau politique sur Hu, qu’il approuvait les dispositions funéraires et qu’il serait présent à la cérémonie.
La nouvelle du décès de Hu donna lieu à des réactions diverses de la part des hauts dirigeants, à en croire les membres de leur personnel. Chen Yun, qui était malade à ce moment-là, ne dit pas grand-chose. La réaction de Li Xiannian fut de répéter sans cesse « Comment est-ce possible ? Comment cela a-t-il pu arriver ? Je l’ai appelé il y a quelques jours seulement, et il avait l’air d’aller bien. » Le ton de sa voix traduisait sa tristesse et un certain remord d’avoir insisté pour que Hu démissionne.
Wang Zhen, connu pour sa forte « idéologie paysanne », laissa échapper un long soupir en entendant la nouvelle. Wang et Hu étaient originaires du même district, Liuyang, dans la province du Hunan, et les deux hommes avaient été très proches jusqu’à ce que Hu, plus jeune que Wang, devienne secrétaire général. Après sa promotion, Hu n’avait plus prêté à Wang autant d’attention qu’auparavant, et ce dernier semblait envier son compatriote devenu le « citoyen numéro un du district de Liuyang ». Wang attendit alors l’occasion de renverser Hu, qui se présenta en 1987.
Le haut dirigeant le plus affecté par la nouvelle de la mort de Hu fut le maréchal Nie Rongzhen. Il adressa une lettre de condoléances à Zhao Ziyang qui disait : « Cela me fait beaucoup de peine que le camarade Yaobang soit parti avant moi. Je suis vieux et faible, et dois me reposer sur les générations plus jeunes. Je suis profondément affecté par sa mort. L’éloge funèbre préparé par le Comité central présente une bonne évaluation du camarade Yaobang, alors je me contenterai de n’ajouter que ces quelques mots sur sa prestation pendant la Guerre de libération : « Quand il a été commissaire de colonne militaire puis commissaire politique de corps d’armée , il a montré des compétences exceptionnelles pour le travail politique. Les cadres comme les gens ordinaires qui l’ont rencontré n’avaient que du bien à dire de lui. Sa contribution à la libération de la Chine du Nord est remarquable. »

15-17 avril
PREMIERES REACTIONS EN CHINE ET A L’ETRANGER

De l’annonce du décès de Hu au matin du 17 avril, le Comité central et le Conseil des affaires de l’Etat reçurent quelque cinquante rapports des gouvernements locaux, des deux ministères de la Sécurité (sécurité d’Etat et sécurité publique) et de l’agence Chine nouvelle décrivant les réactions des cadres et des gens ordinaires à la mort de Hu Yaobang. Tout au long des années 1980, Hu s’était bâti une réputation de défenseur d’une politique visant à libérer la Chine des restrictions suffocantes des années maoïstes. Bien que la plupart des Chinois fussent satisfaits de l’évaluation de Hu par le Centre, certains se plaignaient qu’on ne lui eût pas assez témoigné de respect dans les années qui suivirent sa retraite forcée. Des activités spontanées de commémoration eurent lieu dans les universités. Une foule portant fleurs et couronnes se rassembla devant le Monument aux héros du peuple sur la place Tiananmen et récita des poèmes élégiaques louant en Hu un réformateur et un démocrate. A Shanghai, des dazibaos de toutes tailles apparurent sur les campus. A Xi’an, des jeunes déposèrent des couronnes devant le bâtiment des Postes et des Télécommunications. Les rapports de police indiquaient clairement que ces activités spontanées de commémoration reflétaient la popularité de Hu, considéré comme le porte parole de valeurs auxquelles les jeunes croyaient.
Au cours de cette même période, l’agence Chine nouvelle et d’autres transmirent aux hauts dirigeants plus de cent comptes rendus sur les réactions à l’étranger. La mort de Hu Yaobang et la réaction du gouvernement furent couvertes par les médias du monde entier, et dans l’ensemble d’une manière plutôt positive. La presse étrangère louait Hu pour son pragmatisme et son honnêteté, et saluait le fait que le gouvernement ait annoncé sa mort sans tarder. La plupart des médias étrangers prévoyaient que la disparition de Hu n’aurait aucun impact sur la politique chinoise. Toutefois, les agences de presse Kyodo et Jiji n’excluaient pas la possibilité que, compte tenu du mécontentement général contre l’inflation et la corruption et des revendications démocratiques des étudiants, les activités de commémoration dans la population puissent prendre la forme d’un défi lancé au gouvernement, surtout si ce dernier les prenait à la légère.

17-18 avril

Le 17 avril, les activités de commémoration organisées par les étudiants commencèrent à gagner le centre symbolique de la nation, la place Tiananmen. Cette place se situe au centre géographique de la capitale, au sud-est de Zhongnanhai, l’ancien parc de chasse des empereurs de la dernière dynastie devenu le lieu où travaillent les hauts dirigeants communistes. Depuis le Mouvement du 4 Mai 1919, Tiananmen est également devenue le lieu traditionnel des manifestations de masses. Celles-ci furent souvent dirigées par les étudiants, particulièrement nombreux dans la capitale qui est le centre de l’enseignement supérieur.
Le Comité central et le Conseil des affaires de l’Etat avaient donné l’ordre au ministère de la Sécurité publique et au ministère de la Sécurité d’Etat de surveiller de près les étudiants, ce qu’ils firent. Selon leurs rapports, dans l’après-midi du 17 avril, quelque six cents étudiants et jeunes enseignants de l’Université chinoise de sciences politiques et de droit (UCSPD) pénétrèrent sur la Place en portant des banderoles et des couronnes en signe de deuil. Ils criaient des slogans en faveur de la liberté, de la démocratie et de l’Etat de droit. Les policiers ne parvinrent pas à disperser la foule. Plus de dix mille personnes, manifestants étudiants et badauds, se regroupèrent sur la Place et y restèrent jusqu’à 16 heures ; six étudiants de l’UCSPD déposèrent une couronne au pied du Monument aux héros du peuple.
Les journalistes étrangers procédèrent à des enregistrements, prirent des photos, et essayèrent de savoir si les étudiants arboraient des sentiments négatifs à l’égard du pouvoir. Dans une interview accordée à un journaliste étranger écoutée et enregistrée par un agent de la Sécurité, un manifestant insistait sur le fait que le seul objectif des étudiants était de témoigner leur respect envers Hu Yaobang dans le cadre de la loi. L’étudiant ajouta que les manifestants étaient favorables à la réforme et que s’opposer à la dictature ne signifiait pas s’opposer au gouvernement.
Des groupes d’étudiants d’autres universités pékinoises organisèrent également des activités de commémoration et, à 17 heures, neuf couronnes portant le nom d’établissements d’enseignement supérieur avaient été déposées au pied du monument. En début de soirée, une foule de deux à trois mille personnes se regroupa devant le monument pour écouter des discours et des lectures spontanées de poèmes à la mémoire de Hu. Cette foule regroupait des Pékinois, des provinciaux et des étrangers. A 21 heures 10, un journaliste de télévision étranger enregistra une interview d’un provincial qui déclara que les étudiants de sa ville allaient suivre l’exemple de ceux de Pékin et descendre dans la rue. Le lendemain matin, à l’aube, il restait deux ou trois mille personnes devant le monument et elles ne semblaient pas avoir l’intention de quitter les lieux.
Pendant ce temps, une procession composée d’un millier de manifestants était partie de l’Université de Pékin. En chemin, quelque deux mille étudiants d’autres universités les avaient rejoints. Notons que parmi eux se trouvaient neuf voitures appartenant à des représentations diplomatiques, et que diplomates et journalistes étrangers se mélangeaient à la foule et parlaient aux manifestants. A environ 4 heures 30 du matin, la procession pénétra sur la place Tiananmen, déplia une banderole à la mémoire de Hu sur le monument et y déposa des couronnes. Un étudiant déclara que les étudiants étaient organisés de manière autonome, qu’ils n’avaient rien à voir avec l’organisation étudiante officielle et qu’ils avaient élu des représentants pour négocier avec le gouvernement. Il ajouta qu’ils exigeaient, entre autres, que le gouvernement démissionne pour s’excuser des erreurs politiques qu’il avait commises. Poussé par d’autres camarades, il précisa que les étudiants exigeaient la liberté de la presse et la liberté d’expression, ainsi qu’une plus grande transparence dans le gouvernement. Toutes ces déclarations avaient été enregistrées par les journalistes étrangers.
D’après un autre rapport, les étudiants de l’Institut d’aéronautique de Pékin avaient défilé jusqu’aux portes de l’Ecole normale supérieure de Pékin pour tenter de rallier ses étudiants, mais ils avaient été repoussés par les employés et les services d’ordre de l’établissement.
Au petit matin du 18 avril, plusieurs centaines d’étudiants de l’Université de Pékin et de l’Université du peuple commencèrent un sit-in devant le Palais du peuple et exigèrent d’être reçus par un dirigeant d’un rang égal ou supérieur à celui de membre du comité permanent de l’APN. Ils annoncèrent sept revendications adressées au gouvernement : 1) affirmer comme justes les idées de Hu Yaobang sur la démocratie et la liberté ; 2) admettre que les campagnes contre la pollution spirituelle et la libéralisation bourgeoise avaient été des erreurs ; 3) rendre publiques les informations concernant les revenus des dirigeants de l’Etat et de leurs familles ; 4) lever l’interdiction sur les journaux privés et autoriser une véritable liberté d’expression ; 5) augmenter les crédits alloués à l’éducation et le salaires des intellectuels ; 6) mettre fin aux restrictions concernant les manifestations dans les rues de Pékin ; et 7) organiser des élections démocratiques pour remplacer les membres du gouvernement qui avaient adopté de mauvaises politiques. Par ailleurs, ils exigeaient que les médias contrôlés par le gouvernement publient et diffusent leurs revendications, et que le gouvernement y réponde publiquement.
La situation resta figée toute la journée. A 8 heures du matin, puis à nouveau à 15 heures 30, des fonctionnaires subalternes rencontrèrent les délégués Guo Haifeng et Wang Dan, de l’Université de Pékin. Mais les étudiants n’étaient pas satisfaits. Pendant ce temps, des étudiants d’autres universités continuaient d’affluer sur la place Tiananmen ; ils furent rejoints en fin de journée par d’autres qui faisaient un sit-in devant le Palais du peuple. Ce bâtiment, situé sur un côté de la Place, abritait les bureaux de l’APN. Les étudiants décrivaient Hu comme l’ « âme de la démocratie » et chantaient « l’Internationale ».
A 22 heures 50, environ deux mille étudiants et badauds avaient quitté la Place pour se rendre à la porte Xinhua de Zhongnanhai . La foule était désordonnée, et la circulation sur l’avenue Chang’an fut sérieusement perturbée.

LA VIGILANCE DES DIRIGEANTS

Le matin du 17 avril, le Bureau politique poursuivit sa discussion du projet de décision sur l’éducation, commencée le 8 avril lorsque Hu Yaobang avait eu son arrêt cardiaque. Dans l’après-midi, Li Tieying s’entretint séparément avec Zhao Ziyang et Li Peng de certaines activités commémoratives en l’honneur de Hu Yaobang qui se déroulaient dans les universités de tout le pays. Il dit que He Dongchang l’avait averti de quelques tendances inquiétantes, et que la Commission d’Etat à l’éducation allait immédiatement publier un avis sur la manière de traiter ces activités.
Zhao Ziyang déclara qu’il fallait approuver le patriotisme des étudiants, même s’il fallait leur demander de faire attention à ne pas recourir à certaines méthodes d’action inappropriées. Il ajouta qu’on devait leur dire de garder à l’esprit la situation générale et de se laisser guider par la raison. Li Peng déclara que les problèmes devaient être étouffés dans l’œuf. Le même jour, Yao Yilin avertit Li Peng que certains défenseurs de la libéralisation bourgeoise attendaient depuis longtemps une occasion telle que la mort de Hu Yaobang. Il ajouta qu’ils essaieraient de tirer profit du patriotisme des étudiants pour promouvoir leur idéologie, et qu’il fallait empêcher leurs activités.
Le soir même, Li Peng téléphona au maire de Pékin, Chen Xitong. Le Premier ministre venait de lire plusieurs documents qui lui avaient appris qu’un grand nombre d’étudiants étaient rassemblés sur la place Tiananmen. Il voulait savoir ce qui se passait. Chen lui fit un compte rendu rapide avant de lui envoyer un rapport plus complet le lendemain matin.

Extraits de : Gouvernement municipal de Pékin, « Rapport sur les activités de commémoration en l’honneur de Hu Yaobang dans les établissements d’enseignement supérieur de Pékin », 18 avril.

Les activités de commémoration en l’honneur du camarade Hu Yaobang menées par les étudiants des établissements d’enseignement supérieur de Pékin ont commencé à montrer des signes d’effervescence le 17 avril.
Les données compilées ce matin par le Bureau municipal de l’éducation font apparaître que, depuis la mort du camarade Yaobang, les étudiants de 26 universités pékinoises ont mené des activités spontanées de commémoration. Plus de sept cents panégyriques, poèmes élégiaques et dazibaos sont apparus dans les universités.
Le matin du 17 avril, la situation était plutôt normale à l’Université de Pékin. A midi, quelques personnes ont commencé à crier devant les dortoirs étudiants, et beaucoup d’étudiants sont immédiatement descendus. En une dizaine de minutes, entre mille et deux mille étudiants, la plupart en première ou deuxième année, s’étaient concentrés dans la zone du Triangle. Ils semblaient fort agités et criaient très fort. Après avoir confectionné des couronnes et des banderoles, ils sont partis en groupe pour Tiananmen. A l’Université du peuple, un « Mur de la démocratie » est apparu dans la soirée du 17 avril. Des activités de commémoration spontanées se sont produites dans des universités qui, jusque-là, avaient toujours été calmes. Les étudiants ont non seulement collé panégyriques, distiques et dazibaos sur les campus, mais ils ont aussi prononcé des discours, mis en place des chapelles ardentes et déposé des couronnes sur la Place. Certains ont même exigé de participer aux funérailles. En une seule journée, 93 poèmes élégiaques écrits à la main sont apparus à l’Université polytechnique de Pékin.
Une analyse de plus de 700 dazibaos, poèmes et panégyriques montre que leur contenus se divisent en trois catégories : 1) l’expression normale du chagrin (la grande majorité) ; 2) les protestations contre les injustices dont le camarade Yaobang a été victime de son vivant ; et 3) les discours incendiaires traduisant le mécontentement par rapport à la situation actuelle.
D’après certains, des activités de ce genre étaient envisagées depuis quelque temps déjà, et le décès de Hu Yaobang n’a été qu’un détonateur. Dans ces conditions, nous allons surveiller de près l’évolution de la situation, nous allons mettre en garde les manipulateurs potentiels contre tout détournement de l’orientation et des objectifs des activités de commémoration, et prendre des mesure pour empêcher certaines personnes importantes d’agir.

La Commission d’Etat à l’éducation (CEE) publia, comme prévu, son avis le 18 avril. Il ordonnait aux départements de l’éducation des provinces et aux cadres des universités qu’ils administraient de « bien mettre en oeuvre le travail politico-idéologique afin de renforcer la direction sur les étudiants … [et de] garder la tête froide dans le traitement des individus animés d’intentions inavouables qui sont prêts à se saisir de l’occasion pour attaquer le Parti et le gouvernement ».

LES ETUDIANTS EN DEUIL DANS LES PROVINCES

Les 17 et 18 avril, les comités provinciaux du Parti adressèrent au Comité central des rapports décrivant les activités de commémoration dans leur juridiction ainsi que la manière dont ils géraient la situation. A Shanghai, des groupes de plusieurs milliers d’étudiants participèrent à des manifestations spontanées. L’un d’entre eux exigea en vain d’être reçu par des représentants du gouvernement municipal. Après avoir tenu une réunion urgente, le comité du Parti de la municipalité de Shanghai, alors dirigé par Jiang Zemin, publia une note ordonnant que les activités de commémoration soient menées à l’intérieur et non à l’extérieur des unités afin d’éviter toute perturbation de l’ordre public.
A Tianjin, la police parvint à maintenir le plus gros des manifestants sur le campus de l’Université de Nankai. A Nankin, les étudiants déposèrent auprès de la police une demande d’autorisation pour une manifestation censée regrouper dix mille étudiants de différentes universités. La police tenta de les en dissuader, invoquant le problème du maintien de l’ordre, et les étudiants revinrent sur leur décision. Les camarades du département de la Sécurité publique de la province s’attendaient toutefois à ce qu’ils organisent d’importantes activités de commémoration d’une manière ou d’une autre.
De telles activités furent également rapportées à Xi’an. Au Hunan, le comité provincial du Parti fit savoir que le calme apparent dans les universités était trompeur. Un certain malaise prévalait parmi les étudiants et les enseignants. Il était possible que les activités de commémoration atteignent leur apogée pendant les cérémonies officielles organisées à la mémoire de Hu. Certains disaient même que les activités de commémoration devraient avoir lieu en même temps que la célébration du 70ème anniversaire du 4 Mai. Pour parer à cette éventualité, le comité avait donné l’ordre à tous les départements concernés d’accélérer le travail de direction des étudiants et de mettre à disposition un personnel chargé de surveiller la situation 24 heures sur 24.

LES ARTICLES DES MEDIAS ETRANGERS PRESSENTENT UNE CONFRONTATION

Les articles de la presse étrangère transmis à Zhongnanhai les 17 et 18 avril se concentraient tous sur les événements de Pékin, à l’exception d’une dépêche d’Associated Press qui mentionnait les activités des étudiants à Shanghai. Ces articles soulignaient le caractère conflictuel des revendications étudiantes. Reuters, citant des diplomates et des sinologues, prédisait que les autorités seraient incapables de faire face à une propagation du mouvement étudiant et qu’il risquait de recourir à la force pour le réprimer. Le Hong Kong Standard remarquait que le mouvement étudiant faisait suite à des revendications antérieures concernant l’amnistie de prisonniers politiques et l’élargissement de la démocratisation, et qu’il avait lieu à un moment de grande attente créée par l’approche du 70ème anniversaire du 4 Mai. Il était donc probable qu’il prenne de l’ampleur et se développe en un mouvement démocratique plus large.

19-22 avril
LE SIEGE DE LA PORTE XINHUA

Extraits combinés de : Ministère de la Sécurité publique, « La situation sur les lieux à la porte Xinhua », rapport à l’attention des permanences du Comité central et du Conseil des affaires de l’Etat, 19 avril, 23 heures 51 ; et ministère de la Sécurité d’Etat, « La situation sur les lieux à la porte Xinhua », rapport à l’attention des permanences du Comité central et du Conseil des affaires de l’Etat, 20 avril, 6 heures 08.

Le 19 avril, à partir de 23 heures, des étudiants de l’Université Qinghua, de l’Ecole normale supérieure de Pékin (ENSP), de l’Université des sciences et technologies et d’autres établissements ont apporté des couronnes place Tiananmen. En chemin, plus d’un millier d’étudiants de l’ENSP brandissaient des banderoles et criaient des slogans tels que « Yaobang n’est pas mort ! », « A bas la dictature ! », « A bas le despotisme! », « le peuple aimait le secrétaire [général] du peuple, et le secrétaire du peuple aimait le peuple », « Faisons vivre la tradition du 4 mai », « Vive la démocratie et la science ! Vive l’éducation ! Vive les enseignants ! ».
A tout moment, on prononçait des discours devant le Monument aux héros du peuple.
Des étudiants de l’Institut central des Beaux-Arts ont porté un portrait du camarade Hu Yaobang de 3 ou 4 mètres de haut et l’ont posé contre les hauts reliefs du monument. Sur un côté du portrait, on pouvait lire l’inscription suivante : « Comment peut-on faire revivre son esprit ? »
A la tombée de la nuit, environ 20 000 personnes, dont trois ou quatre mille étudiants, s’étaient regroupées sur la Place. Devant le monument, on comptait 55 couronnes et 12 banderoles funéraires devant le monument. Le bureau municipal de Sécurité publique de Pékin a fait venir mille policiers des commissariats de quartiers pour maintenir l’ordre sur la Place.
Dans la soirée, le gouvernement municipal a diffusé un avis annonçant qu’à partir du 20 avril à 5 heures, la Sécurité publique placerait un cordon autour du monument et demanderait à toute personne désireuse de s’en approcher pour déposer une couronne de le faire d’une manière civilisée. La Ligue de la jeunesse mobiliserait 300 étudiants qui accueilleraient les personnes venues déposer des couronnes.
A 21 heures, plus de mille étudiants appartenant à huit départements de l’Institut central des finances ont quitté la Place pour regagner leur campus.
La Sécurité publique a annoncé sur la Place que les couronnes devaient être déposées devant le monument et ne devaient pas être portées à Zhongnanhai.
Vers 22 heures, des étudiants de l’Institut central du Théâtre sont entrés sur la Place en portant des ballons gonflés à l’hélium et portant le message « Yaobang n’est pas mort ». La police a donné l’ordre de les enlever. A 23 heures 10, plus de huit cents étudiants de l’Université Qinghua ont quitté le campus pour manifester leur soutien aux étudiants qui se trouvaient à la porte Xinhua, mais ils ont été bloqués par des cordons de police déployés sur trois rangs.
Ce soir-là, deux ou trois mille étudiants de l’Université de Pékin, de l’Université du peuple, de l’Ecole normale supérieure de Pékin et de l’Université chinoise de sciences politiques et de droit se sont retrouvés à la porte Xinhua, entourés de six ou sept mille badauds. Si les étudiants « se regroupent à la porte Xinhua, c’est parce que, jusque-là, aucun représentant du gouvernement n’est sorti pour s’expliquer ». Ils criaient : « Li Peng, sors! Li Peng, sors ! », et, à six reprises, ils ont tenté en vain de forcer les cordons de police.
A 23 heures 40, un véhicule de la Sécurité publique de Pékin est arrivé sur les lieux pour diffuser par haut parleur l’avis du gouvernement municipal. Le 20 avril à 1 heure du matin, la Police populaire armée (PPA) et la Sécurité publique ont séparé les étudiants des badauds puis déplacé ces derniers à plusieurs centaines de mètres. Il restait moins de trois cents étudiants devant la porte Xinhua.
De 1 heure à 5 heures du matin, ces étudiants ont continué d’adopter une attitude de confrontation face aux policiers, mais il n’y a eu aucun heurt majeur. Afin de garantir le fonctionnement normal de la capitale, le gouvernement de Pékin a décidé de déclarer temporairement la loi martiale et de ramener en car les étudiants vers leurs universités après les avoir convaincus. Une centaine d’étudiants ont refusé de monter dans les bus, ce qui a provoqué quelques échauffourées avec la police. L’une d’entre eux, qui avait été poussée dans le bus contre son gré, s’est écriée « A bas le Parti communiste ! », mais son cri n’a pas été repris par ses camarades.
Comme les autorités ont recouru à la force, il se pourrait que les étudiants lancent des actions d’une plus grande ampleur.

Le siège de Xinhua alarma les dirigeants.

Compte rendu tiré de : Matériaux pour le 4ème plénum du 13ème Comité central, « Remarques du camarade Yang Shangkun », Secrétariat du 4ème plénum du 13ème comité central du PCC, 23-24 juin 1989 ; et Bureau de la Commission militaire centrale, « Intervention de Yang Shangkun à une réunion de petit groupe tenue dans le cadre de la réunion élargie de la Commission militaire centrale », 23 mai.

Yang Shangkun téléphona à Zhao Ziyang le 18 avril .

Yang Shangkun : Camarade Ziyang, que penses-tu de ces activités de commémoration en l’honneur de Hu Yaobang menées par les étudiants ces derniers jours ?
Zhao Ziyang : Les camarades Qiao Shi et Qili m’ont tenu informé à ce sujet, et j’ai téléphoné au camarade Li Ximing. Il faut à tout prix que le gouvernement municipal surveille de près les activités étudiantes pendant la période de deuil pour garantir la stabilité. Dans l’ensemble, je pense que l’on doit approuver le patriotisme des étudiants.

Compte rendu tiré de : Matériaux pour le 4ème plénum du 13ème Comité central, « Remarques du camarade Wen Jiabao », Secrétariat du 4ème plénum du 13ème comité central du PCC, 23-24 juin 1989.

Plus tard dans la nuit du 18 avril, après avoir reçu un rapport de Wen Jiabao sur les étudiants qui s’étaient regroupés devant la porte Xinhua et sur leurs tentatives de rompre les cordons de police, Zhao dit :

« Préviens immédiatement le camarade [Yang] Dezhong de rassembler d’urgence les membres du Bureau des Gardes du Comité central afin qu’ils garantissent par tous les moyens la sécurité de Zhongnanhai et de la porte Xinhua. Assure-toi que les gardes en faction à la porte Xinhua ôtent les baïonnettes de leurs fusils et évitent tout contact physique avec les étudiants. Fais passer l’information au gouvernement municipal.

Wen Jiabao téléphona à l’officier de permanence au Comité du Parti de Pékin et lui ordonna de garantir à la fois la sécurité de la porte Xinhua et celle des étudiants. Il se rendit ensuite à la porte Xinhua avec Yang Dezhong pour participer en personne à l’opération.
Le 19 avril, le Comité central annonça qu’un service funèbre à la mémoire de Hu Yaobang aurait lieu au Palais du peuple le 22 avril à 10 heures du matin et que l’on pourrait venir lui rendre hommage à ce moment-là. Tard dans la nuit du 19, Zhao Ziyang téléphona au secrétaire du Parti de Pékin Li Ximing pour qu’il le mette au courant de la situation à la porte Xinhua et dans les universités de Pékin. Après avoir fait une brève présentation à Zhao, la conversation suivante eut lieu :

Compte rendu tiré de : Bureau du comité du Parti de la municipalité de Pékin, « Discours du camarade Li Ximing à la réunion des secrétaires du Parti et des présidents des universités de la capitale », 23 avril.

Li Ximing : Il est clair que l’agitation étudiante a commencé à prendre une nouvelle direction le 18. Certains individus animés d’intentions inavouables utilisent les étudiants, et nous sommes en train de préparer un rapport à ce sujet pour le Comité central. Camarade Ziyang, ne penses-tu pas que le Bureau politique devrait se réunir pour parler de l’agitation étudiante ?
Zhao Ziyang : La première chose que nous devons faire est de régler la situation à la porte Xinhua. Cela doit être la priorité de votre travail.

Compte rendu tiré de : Secrétariat du Bureau des affaires générales du Comité central, « Rapport oral de Yang Shangkun, Li Peng, Qiao Shi et Yilin sur la situation actuelle », 22 mai au soir, section contenant les remarques de Li Peng.

Le soir du 19 avril, après avoir appris la nouvelle du rassemblement étudiant devant la porte Xinhua, Li Xiannian téléphona à Li Peng et lui dit :

« Camarade Li Peng, cela fait quelques jours que ces étudiants s’agitent. Comment se fait-il que cette agitation soit arrivée jusqu’à la porte Xinhua ? Ils y étaient hier soir et ils y sont à nouveau ce soir ! Qu’est ce qui se passe, au juste ? Y a-t-il quelqu’un qui manipule tout cela par derrière ? »

Après deux soirs d’agitation à la porte Xinhua, Li Peng dit à Luo Gan, secrétaire général du Conseil des affaires de l’Etat, puis à Yao Yilin, membre du comité permanent du Bureau politique, que cette agitation devenait incontrôlable. Après avoir entendu un deuxième rapport du chef de la CEE Li Tieying, Li Peng ordonna à la CEE de faire en sorte que chaque université se conforme strictement à l’esprit du Comité central et du Conseil des affaires de l’Etat. Il s’entretint ensuite avec Li Ximing et Chen Xitong, exigeant que le gouvernement municipal prenne des mesures radicales. Les autorités municipales déclarèrent alors temporairement la loi martiale dans le quartier de la porte Xinhua.

Comité du Parti de la municipalité de Pékin et gouvernement populaire de la municipalité de Pékin, « Tendance méritant une attention particulière pendant la période de deuil faisant suite au décès du camarade Hu Yaboang dans les établissements d’enseignement supérieur de Pékin », rapport à l’attention du Comité central et du Conseil des affaires de l’Etat, 20 avril.

Au petit matin du 18 avril, les activités de commémoration menées par les étudiants sur la place Tiananmen ont pris une nouvelle direction à cause des actes de sabotage de certains individus animés d’intentions inavouables. Les premiers jours, la grande majorité des étudiants venus sur la place Tiananmen a manifesté un chagrin sincère et témoigné de profonds sentiments pour le camarade Yaobang. Mais le matin du 18 avril, les faits suivants montrent que la situation a pris un nouveau tour :
1. L’utilisation des activités de commémoration pour soulever des idées politiques. Le 18 avril à 4 heures du matin, après que plus de trois mille étudiants de l’Université de Pékin et de l’Université du peuple ont accroché une banderole portant en grands caractères les mots « l’âme de la Chine » sur le Monument aux héros du peuple, plusieurs centaines d’étudiants sont allés faire un sit-in à l’entrée du Palais du peuple et ont présenté sept revendications politiques au comité permanent de l’Assemblée populaire nationale. Ces revendications, qui faisaient écho aux différents discours, slogans, dazibaos et tracts que l’on avait pu voir et entendre les deux jours précédents, réclamaient pour l’essentiel :

La liberté et la démocratie.
La répudiation complète de tous les efforts entrepris pour « éliminer la pollution spirituelle ».
La levée des interdictions touchant les journaux et la mise en place de la liberté de la presse.
La démission des membres du gouvernement ayant commis des fautes graves.
La soumission du gouvernement central à un vote de confiance populaire.
La publication des revenus des dirigeants et de leurs enfants.
La libération inconditionnelle des prisonniers politiques.
Etc.
2. L’apparition au grand jour d’un langage réactionnaire. Entre le 15 avril et le soir du 19 avril, 1654 dazibaos sont apparus dans 31 établissements d’enseignement supérieur de Pékin. A partir du 18, certains étudiants ont commencé à afficher et à crier des slogans réactionnaires visant des camarades hauts dirigeants tels que Xiaoping, Ziyang et Li Peng. « A bas le gouvernement corrompu ! », « A bas le Parti communiste ! », et « A bas la dictature et le despotisme ! », etc.
3. Des fauteurs de troubles ne cessent d’agiter les masses. Certaines personnes ont fait courir toutes sortes de rumeurs sur les véritables causes de la mort du camarade Yaobang. Selon elles, Yaobang aurait été « persécuté à mort » ou serait « mort d’un accès de colère ». Sur la Place, parmi les étudiants, on voit souvent des provocateurs qui leur disent : « Ca sert à quoi de manifester ici ? Il faut aller à Zhongnanhai, il faut aller au Palais du peuple ». Des dazibaos appellent les étudiants à s’organiser et à former un comité d’action uni chargé de coordonner les activités. Ils pressent également les étudiants d’aller dans les usines, dans les magasins et dans les campagnes pour mobiliser les masses contre le gouvernement corrompu. A l’Université de Pékin, certains dazibaos incitent même les étudiants à « attaquer Zhongnanhai » et à « mettre le feu à Zhongnanhai ».
4. Le siège de Zhongnanhai. Au petit matin et dans la soirée du 19 avril, plusieurs centaines d’étudiants ont assiégé la porte Xinhua en criant des slogans et en chantant l’Internationale, et ont passé à tabac des policiers et des factionnaires devant près de dix mille badauds.
5. Des mots d’ordre programmatiques sont apparus, et les activités tendent à devenir organisées. Dans certains établissements, des dazibaos appellent à la formation d’associations étudiantes autonomes et à l’établissement d’une loi sur l’autonomie des organisations étudiantes ; ils réclament la création d’une commission de révision de la constitution. Ils demandent la mise en œuvre de l’autonomie locale, de la liberté de la presse et de la liberté d’expression, et d’autres mots d’ordre programmatiques. Pendant les premiers jours des commémorations, des citoyens concernés ont persuadé les étudiants de mettre fin d’eux mêmes à leurs activités les plus radicales et de quitter les lieux. Mais, à partir du 18, ces exhortations n’ont plus eu d’effets sur les étudiants qui s’étaient mis à organiser des sit-in, à se regrouper, à prononcer des discours ou à attaquer la porte Xinhua. Désormais, ils partageaient les mêmes sentiments, concertaient leurs actions, et dénotaient un certain degré d’organisation.
Le comité du Parti de la municipalité et le gouvernement municipal ont pris les mesures suivantes pour régler cette situation :
- Premièrement, lancer une offensive politique où la raison sera le maître mot. Au moyen des radios des universités et par la persuasion, nous sommes en train de raisonner les étudiants afin de révéler les intentions néfastes de la minorité et de les persuader de rentrer dans les universités reprendre les cours, de se joindre aux activités organisées à la mémoire du camarade Yaobang et de transformer leur chagrin en action, et de bien étudier.
- Deuxièmement, publier des avis pour mettre fin à toutes les activités illégales. Le 19 avril, le gouvernement municipal a publié trois avis pour garantir le déroulement sans heurt des activités de commémoration et le maintien de l’ordre public, et pour empêcher qu’une minorité ne sème le désordre et ne se livre à des sabotages.
- Troisièmement, prendre des mesures de loi martiale afin d’éviter toute aggravation de la situation. Les 18 et 19 avril à l’aube, afin de mettre fin au siège étudiant de Zhongnanhai et de rétablir la circulation sur l’avenue Chang’an, le gouvernement municipal a décidé de prendre des mesures temporaires de loi martiale afin de disperser les fauteurs de troubles étudiants à la porte Xinhua. En même temps, des bus ont été affrétés pour ramener les étudiants dans leurs universités.
- Quatrièmement, convoquer une réunion d’urgence des responsables des quartiers, des districts, des bureaux, des universités, des sièges de corporations et des grandes entreprises pour leur expliquer ce qui se passe, analyser la situation et leur faire part de ce qu’on attend d’eux. Le maire de Pékin, Chen Xitong, a présidé cette réunion, et le secrétaire du Parti Li Ximing ainsi que le secrétaire adjoint Li Qiyan sont tous deux intervenus. Ils ont demandé à chaque chef d’unité de faire un compte rendu fidèle de la situation, de dénoncer la minorité de fauteurs de troubles, de bien faire son travail, de diriger efficacement les masses, de renforcer la discipline organisationnelle, de tout faire pour stabiliser la situation générale afin de permettre le déroulement normal des activités de commémoration du camarade Hu Yaobang, et de se concentrer sur la réglementation. Il leur a également rappelé la nécessité de procéder à l’ajustement, et d’œuvrer à l’approfondissement de la réforme et de l’ouverture.

Le même jour, sur les recommandations de Li Peng, Li Tieying ordonna à la CEE d’envoyer un deuxième avis aux départements provinciaux et municipaux de l’éducation et aux universités dépendant de la commission.

Extraits de : Commission d’Etat à l’éducation, « Avis sur la bonne organisation des activités commémoratives du camarade Hu Yaobang », 20 avril.

Les secrétaires du Parti des différentes universités doivent renforcer la direction organisationnelle des activités commémoratives du camarade Hu Yaobang…, fournir une orientation appropriée à l’expression des opinions et des récriminations des étudiants, et doivent dénoncer résolument les opinions erronées. Les dirigeants des universités doivent discuter avec les fauteurs de troubles, et souligner sérieusement leurs erreurs…
A propos du petit groupe qui a assiégé la porte Xinhua à Zhongnanhai, le gouvernement municipal de Pékin a adopté conformément à la loi les mesures nécessaires pour permettre la circulation et assurer le fonctionnement normal des bureaux gouvernementaux. Les policiers en fonction ne portent ni matraques ni ceintures de cuir. On est en droit de prévoir que certaines personnes exploiteront cette situation pour répandre des rumeurs, il est donc important d’organiser les étudiants pour qu’ils étudient les éditoriaux de l’agence Chine nouvelle et apprennent à ne pas se fier aux rumeurs. En même temps, nous devons dissuader les étudiants provinciaux de monter à Pékin.

LA NAISSANCE DE LA FEDERATION AUTONOME DES ETUDIANTS (FAE) DE PEKIN

Les organes de sécurité et les autorités municipales de Pékin suivirent de près l’intensification du mouvement étudiant les 20 et 21 avril.

Extrait de : Comité du Parti de la municipalité de Pékin et Gouvernement populaire de la municipalité de Pékin, « Bulletin : Les étudiants de l’Université de Pékin sont sur le point d’établir un “syndicat étudiant Solidarité” », bulletin adressé au Comité central et au Conseil des affaires de l’Etat, 20 avril.

La nuit dernière entre 23 heures et 1 heure, le salon de la démocratie de l’Université de Pékin s’est à nouveau réuni pour discuter de la création d’un « syndicat étudiant Solidarité ». Pendant la réunion, les participants ont fait le point sur les leçons tirées de l’échec des protestations antérieures — dû selon eux à un manque de direction ou d’action unie —, et se sont donné pour tâche la mise en place d’une direction efficace du mouvement étudiant pour la démocratie à l’université. Vers minuit, Wang Dan a annoncé l’abolition de l’association étudiante officielle de l’Université de Pékin et la création d’un « Comité préparatoire au syndicat étudiant Solidarité de l’Université de Pékin ». Sept étudiants, dont Ding Xiaoping, Wang Dan, Yang Tao et Feng Congde ont été choisis pour former un comité de direction chapeautant huit départements — propagande, ouvriers et paysans, ordre public, communications, théorie, logistique, etc. Le Comité préparatoire a annoncé qu’il dirigerait tous les mouvements étudiants entre le 20 avril et le 4 mai et que, après cette date, de nouvelles associations d’étudiants et de doctorants seraient créées pour diriger le mouvement spontané pour la démocratie dans les universités. Une « Association Solidarité » serait fondée pour unifier les groupes similaires créés dans toutes les universités du pays.
Une « plate-forme » composée de onze points a été annoncée lors de la réunion. Les différents points reprenaient les revendications contenues dans la pétition présentée au comité permanent de l’APN le 18 avril. Toutefois, de manière significative, le programme demandait « la libération de Wei Jingsheng » et « exigeait avec insistance pour que Deng Xiaoping réponde concrètement sur les causes l’échec de l’éducation pendant les dix années de réforme ».
Une « Adresse à toutes les universités de Pékin » a été distribuée lors de la réunion. Elle proposait que « les représentants des organisations démocratiques étudiantes des différents établissements choisissent des délégués devant participer à un “comité de médiation [conjoint] pour les activités pétitionnaires démocratiques des universités de Pékin” ». Ce comité serait chargé d’ « unifier et [de] diriger les activités spontanées qui sont déjà très fortes dans les universités de Pékin ». Quelqu’un avait fait connaître le point de vue de Jin Guantao qui disait qu’il était temps d’agir et que les étudiants devaient commencer par se concerter pour organiser un mouvement non violent de résistance passive. Vers 1 heure du matin, plus de deux mille étudiants de l’Université Qinghua sont arrivés devant la bibliothèque de l’Université de Pékin pour rencontrer les étudiants de Beida. Ces derniers ont accepté d’envoyer leurs représentants à Qinghua le jour même à midi pour discuter d’une action unie. Tôt ce matin, le comité préparatoire a envoyé des représentants pour prendre contact avec les différentes institutions et organiser la confection de brassards, de couronnes, etc. Nous pensons que la grève des cours sera l’un des moyens utilisés par les étudiants dans leur lutte prolongée.

Pendant la journée du 20 avril, le ministère de la Sécurité d’Etat envoya une série de rapports à partir de la Place. Le rapport de 14 heures 40 indiquait qu’une foule avait commencé à se regrouper devant le Monument aux héros du peuple vers 14 heures et qu’elle était désormais composée de quatre à cinq mille personnes. A 14 heures 35, plus de deux cents étudiants de l’Institut d’imprimerie avaient apporté trois couronnes sur la Place ; peu après plus de deux cents étudiants de l’Université chinoise de géologie étaient arrivés brandissant une banderole sur laquelle on pouvait lire « Gloire éternelle au secrétaire général Yaobang ».
Plus de quatre cents étudiants de l’Université de Pékin furent arrêtés par la police à Zhongguancun, un quartier résidentiel proche de l’université. Plus de deux cents étudiants de l’Institut d’aéronautique étaient allés à pied du quartier des universités à Tiananmen ; plus de deux cents étudiants de l’Institut central des Finances avaient quitté leur campus et les étudiants de l’Ecole normale supérieure de Pékin et de l’Université du peuple grouillaient aux portes de l’Université du peuple.
Le rapport de 16 heures indiquait que plus de mille étudiants de l’Institut d’aéronautique étaient partis pour Tiananmen munis de fleurs blanches et portant des banderoles qui disaient « Appelons l’esprit de la démocratie et de la liberté », « Esprit héroïque de la nation », « Esprit héroïque de la Chine », « Extirpons les cadres corrompus ». Les étudiants de l’Institut d’aéronautique avaient collé sur le Monument aux héros du peuple des dazibaos affirmant que des étudiants avaient été arrêtés et passés à tabac. Il plut dans l’après-midi. La majorité des étudiants restèrent sous la pluie, mais la plupart des badauds se mirent à l’abri dans les passages souterrains.
Le rapport continuait ainsi :

Extrait de : Ministère de la Sécurité d’Etat, « Situation sur la place Tiananmen le 20 [avril], 20 avril, 16 heures.

Tiananmen est en ébullition. On y entend toutes sortes de propos. Une intellectuelle d’un certain d’âge dit : « Personne ne s’occupe de ce genre de chose ? Maintenant on a collé des affiches sur le Monument aux héros du peuple qui disent que des étudiants ont été battus et qu’ils sont détenus par la police. Nous ne savons pas si c’est vrai ou pas. A vrai dire, c’était pareil lors du mouvement du 5 avril 1976 . »
Un homme d’âge moyen ayant l’air d’un cadre analyse ainsi les raisons qui ont poussé les étudiants à descendre dans la rue : « D’abord, ils n’acceptent pas le limogeage du camarade Yaobang en 1987. Les erreurs commises l’année dernière ont été bien pires que celles commises cette année-là, alors pourquoi, se demandent-ils, Zhao Ziyang et Li Peng n’ont-ils pas été déchus eux aussi ? Deuxièmement, ils veulent saisir cette occasion pour accélérer la réforme du système politique et faire avancer la démocratie. Troisièmement, ils sont mécontents du secret qui entoure les luttes au sein du Comité central et veulent savoir ce qui se passe vraiment. Quatrièmement, le style de Hu Yaobang était populaire ; c’était un homme honnête, ouvert et direct ; aujourd’hui, il y a parmi les hauts cadres du Parti des gens trop corrompus. Les masses regrettent Hu Yaobang ». Une autre personne a fait le commentaire suivant : « C’est la pagaille totale sur la place Tiananmen. Il y a des gens qui sont là en train de faire des discours et d’attaquer le Parti et les dirigeants. Qu’est ce que cela a à voir avec la commémoration ? »

Le rapport de 18 heures 30 indiquait que mille étudiants de l’Université de Pékin, de l’Université chinoise de sciences politiques et de droit, de l’Université de médecine de Pékin et de l’Université des sciences et des technologies de Pékin étaient en route vers Tiananmen. A 22 heures, un autre rapport disait que plus de huit cents étudiants étaient arrivés sur la Place avec des banderoles portant des slogans tels que « L’éducation sauve la nation », « Pétition pacifique » et « Non à la violence ».
Le rapport de 20 heures 35 disait que les étudiants se trouvant devant le monument criaient « A bas la dictature ! », « Nous exigeons la liberté » et « A bas la police ! ». Après s’être concertés, les étudiants décidèrent de rentrer chez eux jusqu’au 22 à 8 heures. D’autres rapports indiquaient que les étudiants se préparaient à créer un « syndicat étudiant Solidarité ».
Selon le rapport de 22 heures, environ huit cents étudiants rentrèrent dans leurs universités, laissant derrière eux la Place quasi déserte.
Le Bureau de la Sécurité publique de la municipalité de Pékin indiqua qu’une cinquantaine d’étudiants de Tianjin étaient arrivés sur la Place, mais qu’ils étaient repartis avec les étudiants pékinois. Il ajoutait que deux cents autres étudiants de Tianjin avaient réservé des places dans le train de 14 heures le 21 avril pour Pékin.
Les manifestations étudiantes devant la porte Xinhua étaient une humiliation sans précédent pour la direction du Parti. En guise de réaction, le Quotidien du peuple du 21 avril publia un éditorial intitulé « Le maintien de la stabilité sociale est notre première préoccupation », un commentaire signé titré « Comment nous devons honorer la mémoire du camarade Yaobang », et un article d’actualité intitulé « Plusieurs centaines de personnes créent des perturbations à la porte Xinhua ». Mais aux yeux des étudiants, ces articles semblaient mal informés et peu convaincants, et la colère des protestataires monta dans la journée du 21 avril.

Extrait de : Ministère de la Sécurité d’Etat, « Tendances parmi les étudiants de l’Université chinoise de sciences politiques et de droit le 21 avril », Yaoqing kuaixun (Bulletin de renseignements importants), n° 173, 21 avril.

Les autorités universitaires ont indiqué que trois étudiants s’étaient rendus sur la place Tiananmen le soir du 19 avril pour participer aux activités de commémoration. Vers 23 heures 30, ils ont décidé de prendre le bus n° 22 pour retourner à leur université, mais comme il y avait des bouchons sur l’avenue Chang’an, ils ont décidé de rentrer par le premier métro. Quand ils sont arrivés à pied dans la rue au sud du Palais du peuple, ils sont tombés sur deux colonnes de la Police populaire armée (PPA) qui les ont emmenés dans un coin. Un des étudiants, Wang Zhiyong, a été entouré par les officiers de la PPA et frappé à coups de ceinturon jusqu’à ce qu’il perde conscience. Deux étudiants de l’Institut Lu Xun de littérature l’ont ramené à l’université où il a été soigné à l’infirmerie puis envoyé au Troisième hôpital affilié à l’Université de médecine de Pékin. Le rapport de l’hôpital faisait état de « blessures au cuir chevelu, [d’]une concussion sans gravité et [de] blessures oculaires externes ».
Aujourd’hui, les vêtements ensanglantés de Wang ont été accrochés en public sur le campus de l’UCSPD, ce qui a rendu les étudiants furieux. Les dirigeants de l’établissement étaient allés les voir, mais ils ont appelé à une grève. Les cadres de l’établissement se sont fermement opposés à cette grève tout en promettant aux étudiants de rapporter l’incident aux autorités compétentes de Pékin par les canaux appropriés. Hier, une partie des représentants étudiants et les dirigeants de l’établissement ont rencontré des responsables du gouvernement municipal pour parler de ce qui s’était passé, puis les dirigeants ont affiché des notices décourageant les étudiants de faire grève. Mais ces derniers ont déchiré ces notices pour les remplacer dans la nuit par de nouveaux appels à la grève, accompagnés de quatre revendications : 1) étudiants et enseignants doivent faire la grève des cours les 21 et 22 avril pour protester contre les agissements illégaux de la police ; 2) le gouvernement doit punir sévèrement les auteurs de ces violences ; 3) la police doit publier des excuses dans la presse et rapporter avec exactitude les détails de l’incident ; 4) une réponse aux points 2) et 3) doit parvenir [aux étudiants] avant le 23 avril à 17 heures sans quoi de nouvelles actions seront entreprises.
Vers midi, les étudiants de l’université ont brûlé des exemplaires du journal qui avait publié l’éditorial de l’agence Chine nouvelle intitulé « Le maintien de la stabilité sociale est notre première préoccupation » ainsi que le commentaire du Quotidien du peuple l’accompagnant. Ils ont aussi cassé des bouteilles pendant une demi-heure . A 13 heures, certains d’entre eux sont allés à Xizhimen distribuer des tracts qui demandaient : « Où sont les principes ? Où est la conscience ? Où est la justice ? Où est la loi ? » Ces tracts décrivaient en détail le passage à tabac de Wang Zhiyong, puis disaient : « Nous devons nous interroger sur ce qui a poussé la police armée à bafouer les règles minimales de la morale et de l’humanité. Devons-nous croire que les lois de la République populaire de Chine l’autorisent à agir de la sorte ? Ces policiers n’ont-ils ni frères ni sœurs ? Est-ce que la discipline du Parti et de l’armée autorise un tel comportement ? Nous exigeons que les auteurs soient punis ! »
Les sentiments des étudiants se concentrent maintenant sur le passage à tabac de Wang Zhiyong. Nous espérons que la lumière sera faite sur cet incident le plus vite possible afin d’éviter que la situation ne se dégrade.

Extrait de : Ministère de la Sécurité d’Etat, « Tendances parmi les étudiants de l’Université de Pékin le 21 avril », Yaoqing kuaixun (Bulletin de renseignements importants), n° 174, 21 avril.

Une partie des étudiants de l’Université de Pékin (Beida) ont commencé à faire la grève des cours ce matin et ils ont affiché dans l’après-midi des avis de grève sur le campus. Certains étudiants, devant les bâtiments ou à l’entrée des salles de classe, persuadaient les autres de ne pas se rendre en cours. Sur certains tableaux noirs était écrit « Grève aujourd’hui ».
Dans la matinée, plusieurs avis sont apparus dans le Triangle
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"Ce livre sans équivalent donne un éclairage décisif sur les événements de la place Tiananmen en 1989. Une véritable plongée au cœur de l’histoire « du plus grand mouvement pour la démocratie du monde », selon les propos de Zhang Liang.
Les documents qui composent ces archives sont organisés selon une chronologie commençant avec la mort de Hu Yalobang, le 15 avril 1989 , jusqu’au quatrième plénum du XIIIe Comité central le 24 juin. Ils comprennent les décisions centrales des niveaux supérieurs du parti, des récits montrant la situation dans l’ensemble du pays, puis les réactions internationales et les articles des médias. On y retrouve des rapports sur l'état d'esprit des étudiants, des professeurs; des représentants du parti, des officiers et des soldats, des agriculteurs, des employés de magasins, des vendeurs de rue, et de bien d'autres à travers tout le pays, et également, l’analyse des idées des dirigeants provinciaux et centraux sur les politiques à adopter, l'opinion des médias, des milieux académiques et politiques à l'étranger, l'état du trafic ferroviaire, les discussions dans des réunions privées, des interviews de l'homme de la rue…
Une somme de documents qui permettaient aux différents dirigeants de Zhongnanhai, l’ancien parc impérial situé au centre de Pékin — abritant le Comité central du parti, le bureau du Conseil des affaires de l’État et les résidences de plusieurs hauts dirigeants —, de juger les événements et d’y répondre politiquement. Le journal d’une histoire en train de se faire !
Parmi les révélations les plus intéressantes, celles concernant Deng Xiaoping : on apprend que, malgré ses réticences, c’est lui qui décida de qualifier les manifestations étudiantes de « troubles », de proclamer la loi martiale, d’accepter la démission de Zhao Ziyang, de donner l’ordre à l’armée d’entrer dans la place Tiananmen. Après la répression, il poursuivit le projet de réforme et d’ouverture sur l’Occident, malgré les crispations enregistrées après les événements. Son pouvoir nécessitait l’approbation des Anciens et, pour la première fois, on assiste à l’exercice du « factionnalisme » au sein du parti communiste. Ce système de pouvoir, inhérent à la Chine, combine les liens personnels et les intérêts de pouvoir."

« Zhang Liang » est un témoin et acteur des événements du printemps chinois. On ne possède aucune information sur les réseaux qui lui ont permis de se procurer les documents. En faisant paraître ce livre, deux objectifs étaient poursuivis : contribuer à établir la vérité historique et faire rouvrir en Chine le débats sur les événements de ce printemps 1989 afin de renforcer les réformateurs au sein du parti et de relancer la réforme du système politique. Force est de constater que, trois ans après la parution des archives au États-Unis en 2001, Pékin a pu en limiter l’impact.

Jean Philippe Béja - Andrew J. Nathan

Revue de presse