L'individu saisi par l'Etat
Bien des pensées rapides laissent croire que l'individu porte en lui les moyens de la critique de la société et de l'État. L'individu contribuerait à déstabiliser la loi, à dessiner des sauvegardes dans les marges de l'État. Certains voient même dans l'individualisme contemporain la voie d'une ressource pour une société en crise. D'autres, au contraire, lisent en lui un désastre qu'il convient de contenir.
Et si le problème se posait autrement : si, par exemple, on pouvait montrer que l'individu et l'État sont corrélatifs, tous deux inscrits dans notre modernité. Plus précisément, il n'est pas impossible de penser que l'individu résulte de la formation de l'État moderne et qu'il est disposé à vouloir cet État-là. Réciproquement, l'État moderne appelle un approfondissement de l'individuation dont il fait la source de son expansion. Dès lors, la totalité n'est pas nécessairement totalitaire, la différence n'est pas pure, l'individu n'est pas l'anti-loi, l'individualisme n'est pas un destin. État et individu peuvent et doivent être transformés conjointement.
La crise culturelle que nous traversons doit nous apprendre plus de rigueur dans la pensée. Elle n'est pas le signe de la disparition de toute recherche possible. Elle en renforce la nécessité. Elle nous permet sûrement de mieux saisir certains traits de pensées dont l'« évidence » est toujours reconduite. Les analyses menées dans ce livre s'appuient largement sur les PRINCIPES DE PHILOSOPHIE DU DROIT de HEGEE.
CHRISTIAN RUBY est professeur de philosophie et secrétaire de rédaction de la revue Raison présente, chroniqueur à Radio libertaire, membre du Conseil scientifique de la Maison du Rhône. Il a déjà publié aux Éditions du Félin : Les Archipels de la différence.