Le monde dans un carnet
C’est un banal carnet, oublié parmi les manuscrits du célèbre voyageur prussien, Alexander von Humboldt. Le titre inscrit sur la couverture – « Voyage de Paris en Italie avec Gay-Lussac, 1805 » – fait attendre l’évocation de la lumière, de la beauté des paysages, de la nostalgie des ruines. Ce ne sont que chiffres et mesures, citations, notes brèves. Du magnétisme terrestre aux cosmogonies de l’Inde et de l’Amérique en passant par la minéralogie des Anciens et la chimie de l’atmosphère, les sujets les plus divers sont abordés, dans une langue qui mêle l’allemand et le français. Quelle(s) histoire(s) peut raconter ce calepin au lecteur d’aujourd’hui ? À partir d’une analyse au plus près de ces pages griffonnées, le livre interroge la façon dont Humboldt a visité l’Italie, au Mont-Cenis, à Tivoli, dans le cratère du Vésuve et dans les bibliothèques de Rome. Dans les notes du voyageur, archive d’un savoir en construction, se dessine, un demi-siècle avant Cosmos, l’ambition d’une science pensée à l’échelle du monde. Longtemps resté dans l’ombre son expédition au Nouveau Monde, le court épisode du tour d’Italie d’Alexander von Humboldt trouve ainsi au cœur de l’entreprise savante du voyageur sa place singulière.
« Au principe de toute enquête, historique ou judiciaire, il faut une trace, un indice matériel, un objet énigmatique, qui suscite l’attention ou le rêve et à partir de quoi se noue l’intrigue, se déploie l’investigation. Au départ de ce livre, il y a un carnet de notes, trouvé parmi les papiers manuscrits du célèbre voyageur et savant Alexander von Humboldt. Lorsque je le découvre par un matin d’hiver, dans la lumière pâle de la salle des manuscraits de la Staatsbibliothek de Berlin, l’objet éveille immédiatement ma curiosité. D’aspect, c’est un calepin très ordinaire, de petit format et de forme allongée, protégé simplement d’une couverture cartonnée, brunie par le temps : un carnet de voyage, aisé à manier et à porter avec soi. Que Humboldt ait emporté dans son bagage de quoi prendre des notes en chemin n’a rien pour surprendre, tant la tenue d’un journal est alors une discipline obligée pour tout voyageur, qui plus est homme de science. Pour Humboldt aussi, ce fut une règle : « Je me suis astreint, pendant tout mon voyage […] à écrire jour par jour, soit dans le canot, soit au bivouac, ce qui me paroissoit digne de remarque, » rapporte-t-il dans la relation de son expédition américaine. »