Eclats de voix

Eclats de voix

Paru le 15 juin 2006
ISBN : 2-86645-635-1
Livre en librairie au prix de 9.90 €
176 pages
Collection : Le Félin Poche
Thèmes : Histoire
Préface

Une parole solidaire



EN RELISANT OU EN DECOUVRANT LES CHRONIQUES D’YVES TERNON QUI FORMENT LA MATIERE DE CET OUVRAGE, JE ME SUIS ENCORE UNE FOIS EMERVEILLE DE LA CAPACITE D’INDIGNATION DONT IL DEMEURE PORTEUR. NOUS AVONS TOUS APPRIS QUE LES ÉTATS SONT DES MONSTRES FROIDS, QUE LES PEUPLES ONT LA MEMOIRE COURTE, ET QUE L’OUBLI EST EN POLITIQUE UNE VERTU CAPITALE. OR VOICI UN HOMME QUI NE SE RESIGNE PAS A CE QU’UN CRIME PRESQUE CENTENAIRE PASSE A LA TRAPPE DE L’HISTOIRE, A UN HOMME DONT LE SENS DE LA FRATERNITE NE FAIT PAS ABSTRACTION DU DEVOIR DE JUSTICE.
LE CORRESPONDANT ANONYME QUI, SUR LA FOI DE SES ECRITS, PRETAIT A YVES TERNON DES ASCENDANTS ARMENIENS IMAGINAIRES NE COMPRENAIT PAS QUE LE COMBAT POUR LA RECONNAISSANCE DU GENOCIDE DE 1915 EST TOUT LE CONTRAIRE D’UNE REVENDICATION PARTICULARISTE : C’EST D’ABORD UNE
EXIGENCE DE VERITE, REFLETANT L’IDEE QUE NOUS NOUS FAISONS DE L’HUMANITE DANS SON ENSEMBLE. ET PLUS TOT LE PEUPLE TURC – PAR LA VOIX DE SES REPRESENTANTS LEGAUX – PRENDRA PART A CETTE RECONNAISSANCE, PLUS TOT IL ACCEDERA DE PLEIN DROIT A LA MEME COMMUNAUTE UNIVERSELLE.
CAR S’IL EST DES PEUPLES VICTIMES, IL N’EST PAS DE PEUPLES COUPABLES. LE PEUPLE ARMENIEN, APRES AVOIR SOUFFERT DANS SA CHAIR, CONTINUE DE SOUFFRIR DE LA PLAIE TOUJOURS OUVERTE QUI SE TRANSMET DE GENERATION EN GENERATION. LE PEUPLE TURC, LUI, NE SAURAIT ETRE TENU AUJOURD’HUI POUR RESPONSABLE DES ABOMINATIONS COMMISES JADIS EN SON NOM ; OU, PLUS EXACTEMENT, IL N’EN EST RESPONSABLE QUE DANS L’EXACTE MESURE OU SES DIRIGEANTS ACTUELS S’OBSTINENT A NIER LES ABOMINATIONS D’AUTREFOIS.
C’EST POURQUOI JE SUIS PERSUADE QU’UN JOUR LA TURQUIE EXPRIMERA SA GRATITUDE A DES HOMMES COMME YVES TERNON QUI, EN DISANT HAUT ET FORT QUE LA MEMOIRE DU GENOCIDE DE 1915 N’EST PAS UNIQUEMENT L’AFFAIRE DES ARMENIENS MAIS QU’ELLE CONCERNE TOUS LES ETRES HUMAINS, AURONT HATE SA PRISE DE CONSCIENCE, ET LUI AURONT PERMIS DE SORTIR DE L’IMPASSE MORALE OU ELLE S’ENFERME ENCORE. LE CLIMAT DE DUPLICITE CREE PAR LES PERPETRATEURS DU CRIME, PUIS LES CIRCONSTANCES SINGULIERES DU PASSAGE DE L’EMPIRE OTTOMAN A LA TURQUIE MODERNE, EXPLIQUENT SANS DOUTE UNE TELLE PERSEVERANCE DANS LE MENSONGE. MAIS QUE LE MENSONGE SUR LE GENOCIDE DES ARMENIENS SOIT DEVENU UN DES SOCLES DE L’IDEOLOGIE NATIONALE TURQUE N’EST PAS UNE CIRCONSTANCE ATTENUANTE POUR LES DIRIGEANTS ACTUELS DE CE PAYS. BIEN AU CONTRAIRE, COMME ON LE VOIT A LA LECTURE DES ARTICLES D’YVES TERNON, LEUR RESPONSABILITE (ENVERS LES ARMENIENS, MAIS AUSSI ENVERS LEUR PROPRE PEUPLE) EST D’AUTANT PLUS GRANDE.
EN ATTENDANT L’HEURE OU LA PLEINE RECONNAISSANCE DU GENOCIDE SERA DE REGLE, TANT A PARIS QU’A ANKARA, NOUS QUI NE SOMMES PAS ARMENIENS, AVONS LE DEVOIR DE PARLER POUR LES VICTIMES JADIS REDUITES AU SILENCE. ET, CE FAISANT, DE TEMOIGNER AUX ARMENIENS QU’ILS NE SONT PAS SEULS A PORTER LEUR FARDEAU.

TOUS LES PEUPLES QUI ONT SUBI UN GENOCIDE (LE SIECLE ECOULE N’A PAS ETE AVARE DANS CE DOMAINE) SAVENT QUE LE DENI AUQUEL ILS DOIVENT FAIRE FACE EST PLUS QU’UNE INSULTE AUX MORTS, OU QU’UNE ATTEINTE A LA MEMOIRE DES SURVIVANTS. L’ENJEU NE SE RESUME PAS, COMME ON LE DIT PARFOIS, A CE FAMEUX « TRAVAIL DE DEUIL » AU TERME DUQUEL TOUT SERAIT PASSE PAR PERTES ET PROFITS. IL S’AGIT DE BIEN AUTRE CHOSE.
LE GENOCIDE EST, DE PAR SA DEFINITION, UN DENI D’HUMANITE. « TUEZ-LES TOUS », TEL EST LE MOT D’ORDRE DES GENOCIDAIRES. NON PAS SEULEMENT LES CHEFS POLITIQUES, OU LES MILITANTS D’UNE CAUSE, OU LES HOMMES VALIDES. TOUS, SANS EXCEPTION ; CAR C’EST LEUR ORIGINE QUI EST, AUX YEUX DE L’ASSASSIN, UNE FAUTE INEXPIABLE. CE PEUPLE-LA, DISAIENT-ILS, N’A PAS SA PLACE DANS LE MONDE.
DE CE FAIT, LES SURVIVANTS ET LEURS DESCENDANTS RESTERONT A JAMAIS MARQUES PAR LE DENI D’HUMANITE : S’ILS AVAIENT ETE A LA MERCI DES BOURREAUX, EUX AUSSI AURAIENT ETE TUES COMME LES AUTRES. LA FIN DES MASSACRES A MIS UN TERME AU DANGER IMMEDIAT, MAIS PAS A LA MENACE EXISTENTIELLE. AVOIR ETE TENU HORS DE L’HUMANITE EST COMME UNE MALADIE QUE L’ON SE TRANSMET D’UNE GENERATION A L’AUTRE. ET LA NEGATION DU GENOCIDE, SURTOUT QUAND ELLE NE SE HEURTE PAS A UNE CONDAMNATION IMMEDIATE ET SANS EQUIVOQUE, RAVIVE REGULIEREMENT LA SOUFFRANCE.
TANT QU’UNE PAROLE NE SERA PAS PRONONCEE URBI ET ORBI – PAR LES HERITIERS DES CRIMINELS ET PAR LES HERITIERS DU MONDE, QUI, INDIFFERENT OU PASSIF, ASSISTA AU CRIME –, LES ARRIERE-PETITS-ENFANTS DES VICTIMES DU GENOCIDE SE SENTIRONT MENACES. VOUS CROYEZ ENTENDRE, DE LEUR PART, DES CRIS DE RAGE OU DES APPELS A LA VENGEANCE. DETROMPEZ-VOUS, CE SONT DES APPELS AU SECOURS. FAITES-LEUR COMPRENDRE QUE LE MONDE N’EST PAS CONTRE EUX ; DITES-LEUR QUE LES AUTEURS DU GENOCIDE, QUI VOULAIENT LES EXCLURE DE L’HUMANITE, S’EN SONT EXCLUS EUX-MEMES ; PERMETTEZ-LEUR D’ECOUTER UNE DEMANDE DE PARDON, D’AUTANT PLUS CONVAINCANTE QUE CEUX QUI LA FORMULERONT SERONT LES DESCENDANTS DES AUTEURS DU GENOCIDE ET DE LEURS COMPLICES ; ET VOUS CONSTATEREZ ALORS COMBIEN LA RECONCILIATION PEUT ETRE FACILE.
EN ATTENDANT CETTE ISSUE HEUREUSE, IL FAUT DES « TEMOINS DE TEMOINS », DES HOMMES DE BONNE VOLONTE COMME YVES TERNON, QUI OPPOSENT A TOUS LES GENOCIDAIRES LE LANGAGE DE LA FRATERNITE UNIVERSELLE ET QUI APPORTENT AUX VICTIMES ET A LEURS DESCENDANTS LE RECONFORT D’UNE PAROLE SOLIDAIRE. LES TEXTES QUI COMPOSENT CE RECUEIL ONT, A CET EGARD, VALEUR D’EXEMPLE.

Meïr WAINTRATER
Directeur de la rédaction
L’Arche
Le mensuel du judaïsme français.

Introduction




En 1974, j’avais été invité à Marseille à faire une conférence dans un cinéma de la Canebière, à l’occasion du 24 avril. C’était ma première intervention publique devant une communauté arménienne. Je lus le discours que j’avais préparé. Quelques jours après, Arpik Missakian me demanda l’autorisation de le publier dans son quotidien, Haratch. J’acceptai d’autant plus volontiers que j’étais très honoré par cette proposition. Ce fut le début d’une longue, mais épisodique, collaboration. Pendant trente ans, à diverses occasions – un coup de colère devant le déni du gouvernement turc, une commémoration, un article dans la presse française, la parution d’un ouvrage, une mise au point à faire –, je me suis laissé aller librement à quelques éclats de voix dans les colonnes d’Haratch. La « lettre ouverte » publiée dans ce quotidien fut souvent la meilleure façon de répondre à un livre ou à un article négationniste. Jamais Arpik Missakian ne m’a demandé de modifier un texte, un acquiescement que j’ai, chaque fois, considéré comme un hommage de sa part, car elle n’aurait pas accepté de publier un article dont elle désapprouverait le contenu.
En regroupant ces éléments disparates, j’ai d’abord cherché à vérifier une continuité dans la défense de la mémoire arménienne. C’est également l’occasion de montrer qu’un historien, qui consacre son activité scientifique à l’étude des génocides, a besoin de soupapes de sécurité où il laisse éclater sa voix un ton plus haut que dans une atmosphère universitaire, car la compassion est une souffrance qui s’apaise dans le partage. Je tiens d’abord à présenter à la communauté arménienne un texte qui marque une rupture dans la perception de la
catastrophe de 1915. En décembre 1945, pour la première fois, un homme politique arménien, Schavarch Missakian, prend conscience du lien entre les « massacres » de 1915 et la formulation d’un mot nouveau : « génocide ». Il vient de prendre connaissance de l’acte d’accusation du Tribunal militaire international de Nuremberg, lu le 18 octobre 1945, où pour la première fois le mot « génocide » apparaît dans un document officiel. Parlant, dans le cadre des crimes de guerre, des meurtres et mauvais traitements des civils, cet acte désigne les accusés : « Ils se livrèrent au génocide délibéré et systématique, c’est-à-dire à l’extermination de groupes raciaux et nationaux parmi la population civile de certains territoires occupés, afin de détruire des races ou classes déterminées de population et de groupes nationaux, raciaux ou religieux, particulièrement les Juifs, les Polonais, les Tsiganes. » On est donc loin, on le voit, de la définition du génocide par la convention de 1948. En 1945, l’opinion publique occidentale ne réalise pas encore ce qu’a été la destruction des Juifs d’Europe et la singularité de l’événement dans le cadre de la politique d’extermination des nazis, ce qui explique que Schavarch Missakian parle de l’extermination « des Polonais, des Juifs et d’autres » communautés. Mais ce qu’il a aussitôt compris, c’est le caractère prémédité du crime individualisé par cette nouvelle qualification et les perspectives nouvelles que ce mot ouvre aux revendications arméniennes. En voici la traduction, de l’arménien :

Génocide
« Un mot nouveau, qui fut utilisé à l’occasion du procès de Nuremberg. Il signifie Tzéghasbanoutioun. En effet, les quatre puissances victorieuses viennent de déclarer dans leur réquisitoire : “L’Allemagne est coupable de crimes prémédités et préconçus : extermination de communautés religieuses ou raciales, en particulier celles des Polonais, des Juifs et d’autres.” C’est un moment historique. Comme le font remarquer des juristes, c’est la première fois dans l’histoire que le mot génocide apparaît dans un document juridique. L’inventeur de ce mot est un juriste américain, le professeur Lemkin, qui explique son origine et sa signification dans un livre paru récemment. “Génocide” est composé du mot grec genos, qui signifie race ou ethnie, et de la particule cide – tuer –, utilisée dans d’autres mots comme homicide, infanticide, etc. “Génocide” signifie l’anéantissement des bases essentielles de la vie de groupes humains pour les détruire dans leurs fondements linguistiques, politiques, sociaux, culturels, par le démantèlement de leurs sentiments nationaux, religieux et économiques. L’acte de génocide est dirigé contre un groupe national perçu comme un tout et les actions entreprises contre des individus concernent en fait ces individus en tant que membres de ce groupe national. L’acte est composé de deux parties : l’une concerne l’extermination des dirigeants du groupe opprimé ; la seconde, son remplacement par des dirigeants du groupe oppresseur. Selon l’opinion du professeur Lemkin et les critères de la juridiction internationale, il ne suffit pas seulement de punir les criminels de guerre, mais d’assurer dans l’avenir la défense des minorités.
« Nous lisons ces lignes, nous suivons le procès de Nuremberg et, instinctivement, nos pensées vont vers un monde lointain où des crimes de guerre furent également commis, il y a trente ans. Un projet fut mis sur pied trente ans auparavant, pendant la Première Guerre mondiale. Ce plan concerté avait pour objet d’exterminer un peuple sans soutien, abandonné à lui-même. À ce moment, ce plan préméditait l’emploi des mêmes méthodes : faire tomber les têtes, disloquer, détruire, extirper les racines de la vie politique, sociale, culturelle et économique de ce peuple ; puis massacrer, exterminer massivement, sur place, sur les chemins de la déportation ou dans le désert ; anéantir par l’épée, le sabre, le fusil, le canon, par la hache, l’herminette, le marteau, la potence ou l’incinération ; condamner ces personnes à la famine, les jeter dans le fleuve, les noyer dans la mer ; inoculer des maladies infectieuses, clouer les nouveau-nés dans des caisses.
En un mot : “génocide”. Où étaient donc alors les juristes et les juges d’aujourd’hui ? Est-ce le mot qu’ils n’avaient pas trouvé, ou était-ce que le bourreau assoiffé de sang était si puissant et inaccessible qu’ils ne purent l’atteindre ? En y pensant, notre indignation se décuple, parce qu’en cette période aussi les vainqueurs d’alors étaient sur place, sur les lieux du crime. Ils ont été là pendant quatre ans, ils ont été les maîtres [les Alliés ont occupé Constantinople de novembre 1918 à 1923], comme aujourd’hui les Alliés sont les maîtres en Allemagne. À ce moment-là pourtant, il y eut des centaines d’arrestations et soixante-dix monstres sélectionnés furent transférés à Malte pour être jugés et subir la condamnation qu’ils méritaient. Et puis ? Le monde s’est-il amélioré d’Istanbul jusqu’à Nuremberg, Belsen ou Auschwitz ? Souhaitons-le ! Il faudrait que cela fût. Qu’ils soient jugés sans pitié, les monstres du génocide ! Mais où s’est ouvert le premier et exemplaire enseignement du génocide des temps nouveaux ? »
Ce livre doit tout à Roger Tcherpachian, qui a saisi au vol ma suggestion de réunir en un volume mes articles parus dans Haratch, et à Nazareth Topalian qui, sur des feuilles jaunies de ce journal, a patiemment retapé ces
textes, puis en a assuré la mise en page et la publication. À eux et à Arpik Missakian toute ma reconnaissance,
sans oublier Miche qui, entre autres soutiens qu’elle n’a cessé de me prodiguer, a trouvé le titre de cet ouvrage.

Y. T.

VOTRE GÉNOCIDE EST
AUSSI NOTRE AFFAIRE1


Discours prononcé lors de la commémo¬¬¬ration du génocide de 1915, le 28 avril 1974, à Marseille.



IL NE FAUDRA JAMAIS CESSER D’EVOQUER CETTE DATE FATALE DU 24 AVRIL 1915 QUI SYMBOLISE LE DEUIL DE VOTRE NATION, NON SEULEMENT PARCE QUE VOTRE SOUVENIR FAIT VIVRE VOS MORTS, MAIS PARCE QUE LE SILENCE NE DOIT PAS COUVRIR CE CRIME QUI, PAR SON CARACTERE EXEMPLAIRE, MET L’HUMANITE EN PERIL. IL FUT LE PREMIER GENOCIDE PLANIFIE – ET PEU IMPORTE QUE LE MOT « GENOCIDE » AIT ETE FORGE APRES. IL FUT EXECUTE DANS DES CIRCONSTANCES ET SOUS DES PRETEXTES QUI AUTORISENT, SOIXANTE ANS APRES, LES SUCCESSEURS DES ASSASSINS A NIER LES EVIDENCES LES PLUS CRIANTES ET A S’OFFENSER DES ALLUSIONS LES PLUS DISCRETES. ALORS, DEVANT L’OBSTINATION DANS LE DESAVEU DU CRIME, IL NE NOUS RESTE QUE L’OBSTINATION A LE DENONCER.
AVALISER LE GENOCIDE, C’EST RENONCER A CROIRE EN L’HOMME. ET TANT QU’A TRAVERS LE MONDE DES MINORITES SERONT CONDAMNEES A DISPARAITRE AU NOM DE LA RAISON D’ÉTAT, L’HUMANITE SERA EN PERIL. TANT QUE DES IMPERATIFS RACISTES, NATIONALISTES OU ECONOMIQUES POURRONT DECIDER DE L’EXISTENCE DE GROUPES ENTIERS, L’HUMANITE SERA EN PERIL.
À QUOI SERT A L’HOMME DE CONQUERIR L’ESPACE OU DE DOMESTIQUER L’INFINIMENT PETIT, S’IL NE PEUT CONTROLER SES PROPRES IMPULSIONS, ET SI, EN FRAPPANT SON FRERE, IL VIENT A PERDRE LA DIGNITE ET LE RESPECT DE LUI-MEME ?
LE GENOCIDE, C’EST LE CRIME CONTRE L’HUMANITE, LE CRIME ABSOLU, LA RESPONSABILITE PARTAGEE D’UN PEUPLE ENVERS UN AUTRE PEUPLE. LE GENOCIDE NE SE JUSTIFIE PAS. IL NE S’EFFACE PAS. IL NE SE PARDONNE PAS. MAIS LES ENFANTS DES BOURREAUX PEUVENT UN JOUR S’INCLINER DEVANT LA MEMOIRE DES VICTIMES ET, PAR LA RECONNAISSANCE DES FAITS, AFFIRMER LEUR VOLONTE, SINON DE REPARER L’IRREPARABLE, DU MOINS D’ASSUMER L’INFAMIE. LE GESTE DU CHANCELIER BRANDT A VARSOVIE N’A PAS EU DE REPLIQUE TURQUE ET LE JOUR EST LOIN OU UN GOUVERNEMENT TURC DECIDERA DE DYNAMITER LA STATUE DE TALAAT ET D’ERIGER POUR LA REMPLACER UN MONUMENT A LA MEMOIRE DE SES VICTIMES ARMENIENNES.
EN ANEANTISSANT SES SUJETS ARMENIENS, LA TURQUIE S’EST EMPAREE A VIL PRIX DE LEURS TERRES ET S’EST EFFORCEE DE FAIRE DISPARAITRE TOUTE TRACE DE PLUS DE VINGT-CINQ SIECLES DE PRESENCE ARMENIENNE. ELLE NE VA PAS REMETTRE EN CAUSE CE BUTIN POUR FAIRE ECHO AUX CRIS DE DOULEUR D’UNE DIASPORA POLITIQUEMENT IMPUISSANTE SUR LE PLAN INTERNATIONAL. POURTANT SA SUSCEPTIBILITE A DE QUOI ETONNER ET LE RAPPEL EN 1973 D’UN AMBASSADEUR POUR UNE CONSULTATION DONT LA DUREE TEMOIGNE DE LA GRAVITE DU CAS OU DE L’EMBARRAS DES CONSULTANTS DOIT VOUS ENCOURAGER. LA PUNAISE ARMENIENNE – L’EXPRESSION SERAIT DE TALAAT – CONTINUERA DONC TOUJOURS A IRRITER L’EPIDERME TURC. EN EFFET, LE 6 MARS DERNIER [1974] LE CONSEIL ECONOMIQUE ET SOCIAL DES NATIONS UNIES ETUDIAIT LE RAPPORT REDIGE PAR LE DELEGUE DU RWANDA [SIC] SUR LES MESURES DISCRIMINATOIRES ET LA PROTECTION DES MINORITES.
DANS SON ANALYSE SUR LE GENOCIDE EN GENERAL, LE RAPPORTEUR, APRES AVOIR RAPPELE LES GENOCIDES RELIGIEUX DU MOYEN ÂGE ET DE LA SAINT-BARTHELEMY, GLISSAIT LE PARAGRAPHE SUIVANT : « PASSANT A L’EPOQUE CONTEMPORAINE, ON PEUT SIGNALER L’EXISTENCE D’UNE DOCUMENTATION ASSEZ ABONDANTE AYANT TRAIT AU MASSACRE DES ARMENIENS, QU’ON A CONSIDERE COMME LE PREMIER GENOCIDE DU XXE SIECLE. »
CE FUT UNE LEVEE DE BOUCLIERS. LE DELEGUE TURC, DANS UN RACCOURCI SAISISSANT DE L’HISTOIRE DES RAPPORTS TURCO-ARMENIENS, ALLA JUSQU’A ACCUSER LES ARMENIENS D’AVOIR, EN 1915, ORGANISE LE MASSACRE DES POPULATIONS TURQUES DES PROVINCES ORIENTALES, CE QUI, RAPPELONS-LE, EST DANS LA TRADITION DE LA THESE TURQUE. PARLANT D’ASSIMILATION DANGEREUSE ENTRE « DES ACTES DE GUERRE ET LEURS CONSEQUENCES NATURELLES AU CRIME DE GENOCIDE », ET CONSIDERANT LA DOCUMENTATION D’ORIGINE ARMENIENNE QU’AVAIT UTILISEE LE RAPPORTEUR COMME TENDANCIEUSE, LE DELEGUE TURC DEMANDA LA SUPPRESSION DANS LE RAPPORT DE CE PARAGRAPHE ET DE CEUX CONCERNANT LES GENOCIDES RELIGIEUX D’UN LOINTAIN PASSE. IL FUT SUIVI DANS SES OBSERVATIONS PAR UN NOMBRE TEL DE DELEGUES QUI EMIRENT DES REFLEXIONS TELLEMENT AHURISSANTES, DU GENRE : « DE TOUTE FAÇON, MEME SI DES ALLEGATIONS DE GENOCIDE ONT ETE FAITES, LE PEUPLE ARMENIEN EXISTE TOUJOURS », QUE L’ON EST EN DROIT DE SE DEMANDER SI LEURS POSITIONS ETAIENT MOTIVEES PAR L’IGNORANCE, LA BETISE OU LA MAUVAISE FOI.
LE GENOCIDE ARMENIEN DEMEURERA-T-IL TOUJOURS LE CATALYSEUR DU MENSONGE HISTORIQUE ? LA QUESTION DE CE GENOCIDE PRETERAIT, PARAIT-IL, A CONTROVERSE. IL EST VRAI QU’IL N’Y A PAS EU DE NUREMBERG POUR L’ARMENIE. JE NE CROIS PAS TRAHIR VOS DESIRS EN DISANT QUE LES ARMENIENS DU MONDE ENTIER SOUHAITENT QU’UN TRIBUNAL HISTORIQUE SOIT REUNI POUR QUE L’ON SACHE ENFIN SI CE SONT LES ARMENIENS QUI ONT MASSACRE LES TURCS OU LES TURCS QUI ONT MASSACRE LES ARMENIENS. LE DOSSIER DE L’ACCUSATION CONTRE LA TURQUIE RECEVRAIT ALORS DES MILLIERS DE PIECES, VENUES EN PARTICULIER DES CHANCELLERIES DES GRANDES PUISSANCES ET DONT L’AUTHENTICITE NE POURRAIT ETRE MISE EN DOUTE. CES PIECES PROUVERAIENT, SANS DISCUSSION POSSIBLE, QUE LA SUPPRESSION DES ARMENIENS DE TURQUIE PAR LE GOUVERNEMENT OTTOMAN DE 1915 FUT L’EXEMPLE MEME DU CRIME DE GENOCIDE, PUISQU’IL FUT COMMIS DANS L’INTENTION DE DE¬TRUIRE EN TOTALITE UN GROUPE NATIONAL, ETHNIQUE ET RELIGIEUX.
PEUT-ETRE LES GRANDES PUISSANCES NE VOUDRAIENT-ELLES PAS DE CE TRIBUNAL, CAR, AU DELA DE LA RESPONSABILITE IMMEDIATE DU GOUVERNEMENT TURC D’ALORS, APPARAITRAIENT LEURS RESPONSABILITES MEDIATES. PENDANT CINQUANTE ANS, ELLES SE SONT JOUE DES ARMENIENS, ELLES LES ONT BERNES DE FAUSSES PROMESSES, POUR LES ABANDONNER ENFIN ENTRE LES MAINS DU BOURREAU. PENDANT CINQUANTE ANS, LES ARMENIENS N’ONT ETE RIEN DE PLUS QU’UN PION QUE L’ON DEPLACE SUR L’ECHIQUIER AU GRE DE SES INTERETS POLITIQUES. SI LA VERITE SORTAIT NUE, ELLE FERAIT TRES MAL AUX BONNES CONSCIENCES, ET DERANGERAIT LEUR CONFORT MORAL.
POURTANT LE CRIME NE DOIT PAS PAYER, SINON NOS MEURTRIERS SERONT NOS MAITRES A JAMAIS. PUISQUE LE GENOCIDE DU PEUPLE ARMENIEN PAR LE GOUVERNEMENT JEUNE-TURC EST UNE VERITE HISTORIQUE INDISCUTABLE, ON NE POURRA ETERNELLEMENT LA NOYER DANS LE PUITS OU LA DEGUISER SOUS DES ORIPEAUX GROTESQUES. LES HISTORIOGRAPHES OFFICIELS DE LA TURQUIE NE POURRONT CONTINUER A REDUIRE L’ANEANTISSEMENT DES ARMENIENS A UNE SIMPLE MESURE DE POLICE EN ZONE D’OPERATIONS MILITAIRES, MESURE JUSTIFIEE PAR LA DELOYAUTE DES ARMENIENS A L’EGARD DU GOUVERNEMENT TURC. C’EST UNE FALSIFICATION SINISTRE DES FAITS. AUCUN HISTORIEN DE BONNE FOI NE SAURAIT SE LAISSER ABUSER PAR UNE JUSTIFICATION A POSTERIORI DU CRIME A L’AIDE DES PRETEXTES ET DES CIRCONSTANCES JUSTEMENT CREES ET ATTENDUS POUR L’EXECUTER, ALORS QUE TOUTE L’HISTOIRE DE LA TURQUIE EST LA POUR REFUTER CETTE JUSTIFICATION.
DEPUIS LE DEFERLEMENT DES HORDES TOURANIENNES SUR L’ANATOLIE, PUIS SUR L’EUROPE, LES PEUPLES VAINCUS ONT ETE TRAITES EN ESCLAVES ET SYSTEMATIQUEMENT PRESSURES. LORSQUE, AU XIXE SIECLE, L’EMPIRE OTTOMAN DECADENT FUT L’OBJET DE LA SOLLICITUDE DES PUISSANCES AU CHEVET DE « L’HOMME MALADE DE L’EUROPE » ET DUT ABANDONNER PEU A PEU SES CONQUETES BALKANIQUES, IL RETROUVA SA VOCATION ANATOLIENNE PRIMITIVE, ET L’ARMENIE, DE PAR SA POSITION GEOGRAPHIQUE, DEVINT UN CENTRE D’INTERET. LE SENTIMENT NATIONAL ARMENIEN S’EVEILLAIT ET L’HORREUR DE SA SITUATION APPARUT A UN PEUPLE QUI, INCAPABLE D’OBTENIR DES REFORMES DES SULTANS, PORTA L’AFFAIRE DEVANT L’EUROPE. DEVANT LES VAGUES PROMESSES DE REFORMES INSCRITES DANS LES HATTI-CHERIF DE GULHANE ET LE HATTI HUMAYOUN, SE SUBSTITUERENT LES ENGAGEMENTS FORMELS DU TRAITE DE SAN STEFANO, DE LA CONVENTION DE CHYPRE, ET SURTOUT L’ARTICLE 61 DU TRAITE DE BERLIN. DES LORS QUE LA QUESTION ARMENIENNE ETAIT POSEE, IL NE RESTAIT AU SULTAN QUE DEUX SOLUTIONS : CELLE DES REFORMES OU LA SOLUTION FINALE.
ON SAIT TROP BIEN LAQUELLE IL CHOISIT, COMBIEN LES CONFLITS INTERIEURS DE L’EUROPE L’Y AIDERENT ET QUELLE COMEDIE DIPLOMATIQUE FUT JOUEE. EN 1895, LES ARMENIENS DE TURQUIE AURAIENT PU ETRE EXTERMINES JUSQU’AU DERNIER. L’INTENTION Y ETAIT, IL N’Y MANQUAIT QUE L’AUDACE ET, SANS DOUTE AUSSI, LA TECHNIQUE. MAIS LA LEÇON FUT PROFITABLE AUX ELEVES, ET ILS TIRERENT LES CONCLUSIONS QUI S’IMPOSAIENT : L’EXECUTION D’UN PEUPLE ENTIER DOIT ETRE SOIGNEUSEMENT PREPAREE ; ELLE DOIT ETRE REALISEE LE PLUS PROPREMENT POSSIBLE ET AU MOMENT LE MEILLEUR, LORSQUE LE BOURREAU A QUELQUES CHANCES DE POUVOIR SE DESIGNER COMME LA VICTIME.
QUAND ABDUL HAMID CEDA LA PLACE AUX GENS DE L’ITTIHAD, L’ILLUSION FUT BREVE. LES ARMENIENS CRURENT UN INSTANT AUX DECLARATIONS LYRIQUES SUR LA FRATERNITE DES PEUPLES DE TURQUIE. MAIS LE FEDERALISME REVOLUTIONNAIRE ASSURANT UNE PART EGALE AUX PEUPLES COMPOSANT UNE NATION EST UNE ENTREPRISE POLITIQUE DIFFICILE ET QUI SUPPOSE DE L’INTELLIGENCE, DE LA GENEROSITE ET DE LA TOLERANCE. S’ILS EN EURENT, AVANT D’ETRE AU POUVOIR, LA TENTATION, LES JEUNES-TURCS, CONFRONTES AUX REALITES DE L’EMPIRE, CESSERENT VITE D’EN AVOIR L’INTENTION ET N’EN EURENT GUERE LES MOYENS.
CONTINUATEURS DE LA POLITIQUE TURQUE, ILS VERSERENT DANS UN NATIONALISME FEROCE : YENI TURI, LA TURQUIE AUX TURCS. TEL FUT LE MOT D’ORDRE. AU CONTACT DE L’ALLIE ALLEMAND, GONFLE DE PANGERMANISME, LA GRENOUILLE TURQUE ERIGEA LE MYTHE RACIAL DU PANTURQUISME, ET REVA DE CONQUERIR PAR-DELA LA PERSE ET LA TRANSCAUCASIE LES PLAINES DU TURKESTAN, OU AVAIT BAIGNE LE FŒTUS TOURANIEN. LES ARMENIENS ETAIENT L’OBSTACLE SUR CETTE ROUTE UTOPIQUE ET DEMENTE DE L’INCONSCIENT PANTOURANIEN REVELE. MAIS ENVER N’ETAIT NI ALEXANDRE, NI NAPOLEON, TOUT AU PLUS UN UBU CASQUE.
PAR CONTRE, IL Y AVAIT TALAAT, ET TALAAT ETAIT UN GRAND, UN TRES GRAND CRIMINEL. IL SAVAIT QUE LE CŒUR DE LA TURQUIE BATTRAIT UN JOUR EN ANATOLIE, ET QU’IL FALLAIT LA PROTEGER DE LA RUSSIE SUR SES MARCHES ORIENTALES. EN 1911, AU CONGRES DE L’ITTIHAD, REUNI A SALONIQUE, IL DECIDA, AIDE EN CELA PAR LES THEORICIENS DU MOUVEMENT, QUE LES ARMENIENS DEVAIENT ETRE SUPPRIMES. UN PLAN FUT SOIGNEUSEMENT ELABORE. IL PREVOYAIT LA DEPORTATION, PUIS L’ELIMINATION SYSTEMATIQUE DE TOUS LES ARMENIENS. POUR FAIRE TAIRE LE REFLEXE HUMANITAIRE DES PUISSANCES IL SUFFISAIT D’ATTENDRE L’OCCASION. CETTE OCCASION SERAIT LA GUERRE QUI NE POUVAIT MANQUER D’ECLATER. CE PLAN FUT EXECUTE POINT PAR POINT, AVEC UNE MAITRISE ET UNE RIGUEUR QUI DEMEURERONT UN EXEMPLE POUR LES ASSASSINS DU FUTUR.
TOUS LES EVENEMENTS QUI SE DEROULERENT DE 1914 A 1915 VIENNENT CONFIRMER CETTE THESE D’UNE PREMEDITATION GLACEE. EN S’ADRESSANT AUX PUISSANCES DE L’ENTENTE POUR CONTRAINDRE L’EMPIRE OTTOMAN A ACCEPTER DEUX INSPECTEURS EUROPEENS POUR LES SIX PROVINCES ARMENIENNES, LES ARMENIENS LE RENFORCERENT DANS SON PROJET. EN JUILLET 1914, ALORS QUE LES MENACES DE GUERRE SE PRECISAIENT, LE DJEMIET, C’EST-A-DIRE LE COMITE CENTRAL DE L’ITTIHAD, CREA LE TACHKILATE MAHSOUSSE OU ORGANISATION SPECIALE, CHARGEE D’ASSURER L’AGITATION AUX FRONTIERES ORIENTALES ET D’EXECUTER LES MASSACRES ARMENIENS. DIRIGEE PAR LES PLUS HAUTES PERSONNALITES DU REGIME ET CONSEILLEE PAR NAZIM BEY ET BEHAEDDINE CHAKIR, THEORICIENS DU PANTURQUISME, CETTE ORGANISATION ETAIT COMPOSEE DE CRIMINELS ET DE BRIGANDS, SUBITEMENT ELARGIS DES PRISONS TURQUES ET REPARTIS EN BANDES OU TCHETE, SELON UNE DELIMITATION GEOGRAPHIQUE PRECISE REPONDANT AUX VILAYET ARMENIENS. DIX MILLE TUEURS AU MOINS, DISPOSANT D’UN POUVOIR DISCRETIONNAIRE, ORGANISERENT SUR PLACE LES CONDITIONS DE LA DEPORTATION ET DU MASSACRE, DANS L’OMBRE, N’ATTENDANT QU’UN MOT POUR PASSER A L’ACTION.
AFIN DE COORDONNER LES REBELLIONS DES PEUPLES DE TRANSCAUCASIE, L’ORGANISATION SPECIALE FIT PREUVE D’UN CYNISME DEMONIAQUE EN PROPOSANT AUX DASCHNAK1 REUNIS A ERZEROUM A L’OCCASION DU HUITIEME CONGRES DU PARTI DE FOMENTER UNE REVOLTE PARMI LES ARMENIENS DE RUSSIE. BIEN ENTENDU, LES CHEFS DASCHNAK REFUSERENT TOUT EN
PROTESTANT DE LEUR LOYAUTE A L’EGARD DU GOUVERNEMENT TURC ET DE LEUR PATRIOTISME. L’ITTIHAD UTILISERA PLUS TARD CONTRE EUX CE REFUS, COMME ELLE AURAIT TROUVE LE MOYEN D’EXPLOITER A LEURS DEPENS UN ACCORD.
LES JEUNES-TURCS ETAIENT RESOLUS A SE RANGER AUX COTES DES PUISSANCES CENTRALES. LES NEGOCIATIONS S’ENGAGERENT DES LA FIN DU MOIS DE JUILLET ENTRE L’AMBASSADEUR ALLEMAND A CONSTANTINOPLE, WANGENHEIM, ET LE GRAND-VIZIR, SAÏD HALIM. ELLES ABOUTIRENT LE 2 AOUT, DONC LE LENDEMAIN DE LA DECLARATION DE GUERRE, A LA SIGNATURE D’UN PACTE SECRET : L’EMPIRE OTTOMAN SERAIT L’ALLIE DE L’ALLEMAGNE. EN ECHANGE CELLE-CI PROTEGERAIT SES FRONTIERES ORIENTALES ET L’AIDERAIT A RECOUVRER KARS, ARDAHAN ET BAKOU. SEUL L’ESPOIR D’OBTENIR DEUX CUIRASSES COMMANDES A L’ANGLETERRE RETARDA L’ENTREE EN GUERRE DE LA TURQUIE.
LA MOBILISATION GENERALE FUT NEANMOINS DECRETEE. TOUS LES HOMMES DE 20 A 43 ANS – ET, PLUS TARD, DE 18 A 48 ANS – FURENT APPELES SOUS LES DRAPEAUX, MUSULMANS COMME CHRETIENS. AINSI, LES ARMENIENS SE TROUVAIENT ENTRE LES MAINS DE L’AUTORITE MILITAIRE. DONC, AVANT LE 29 OCTOBRE 1914, DATE DE L’AGRESSION DE LA FLOTTE TURQUE CONTRE LES PORTS RUSSES DE LA MER NOIRE, AU TERME D’UNE RIDICULE COMEDIE DIPLOMATIQUE MENEE PAR LA SUBLIME PORTE POUR JUSTIFIER L’ENTREE DU GOEBEN ET DU BRESLAU DANS LES EAUX NEUTRES DES DETROITS, LES CONDITIONS D’EXTERMINATION DES ARMENIENS ETAIENT REUNIES. LE MOMENT N’ETAIT CEPENDANT PAS VENU. L’ORGANISATION SPECIALE ETAIT INSUFFISAMMENT STRUCTUREE : LES ARMENIENS N’ETAIENT PAS ENCORE DESARMES. ENFIN, LE PLAN DE DEPORTATION NE POUVAIT GUERE ETRE EXECUTE AU COURS DE L’HIVER ET IL RESTAIT A PROFITER DES OPERATIONS MILITAIRES POUR FORGER DES PRETEXTES PLAUSIBLES.
LA MACHINE EXTERMINATRICE ETAIT EN MARCHE ET RIEN D’AUTRE NE POUVAIT L’ARRETER QU’UN DESASTRE TURC SUR TOUS LES FRONTS, CE QUI FAILLIT BIEN ARRIVER. EN DECEMBRE 1914, ENVER SE RENDIT AU QUARTIER GENERAL DE LA TROISIEME ARMEE A ERZEROUM POUR CONDUIRE UNE ATTAQUE QU’IL ESPERAIT DECISIVE EN TRANSCAUCASIE. L’HIVER ARMENIEN EUT RAISON DE SES TROUPES, QUI, MAL RAVITAILLEES ET PEU VETUES, FURENT RAVAGEES PAR LE FROID, LA FAMINE, LE CHOLERA ET LE TYPHUS. À SARIKAMISH, LA TROISIEME ARMEE FUT ANEANTIE. SUR 95 000 HOMMES, 15 000 A PEINE REGAGNERENT ERZEROUM. LA RAGE D’ENVER SE RETOURNA CONTRE LES ARMENIENS QU’IL RENDIT RESPONSABLES DE SON INCAPACITE ET DE SON IMPREVOYANCE. LA TERREUR REVINT EN ARMENIE. GENDARMES ET TCHETE SE REPANDIRENT DANS LES VILLES ET VILLAGES, SOUS LES PRETEXTES LES PLUS FALLACIEUX : REQUISITION, RECHERCHE D’ARMES ET DE DESERTEURS ; ILS PILLERENT, EMPRISONNERENT ET INCENDIERENT. DANS CE CLIMAT D’ANARCHIE SOIGNEUSEMENT ENTRETENU, LA PROCLAMATION SOLENNELLE EN NOVEMBRE 1914 DU DJIHAD, QUI IMPLIQUAIT LE DEVOIR SACRE DE TUER TOUS LES INFIDELES, ATTISA LA HAINE DES TURCS CONTRE LES CHRETIENS. LES KURDES REÇURENT TOUTES LES GARANTIES D’IMPUNITE ET REPRIRENT LEUR TRADITION DE BRIGANDAGE. ON RETROUVAIT LE CLIMAT DES HEURES SANGLANTES DES MASSACRES HAMIDIENS.
MAIS, ENTRE LE MASSACRE ET LE GENOCIDE, IL Y A UNE NUANCE, ET ELLE EST FONDAMENTALE. LA TEMPETE UNE FOIS PASSEE, ON PEUT RECONSTRUIRE AU TERME DES MASSACRES. LE GENOCIDE, AU CONTRAIRE, PROCEDE A L’ERADICATION TOTALE, METHODIQUE, ET PAR ETAPES, DE TOUTE TRACE DE VIE ET DE CULTURE. DANS LE PLAN DE L’ITTIHAD L’ANARCHIE VISAIT SEULEMENT A CREER LES CONDITIONS DE LA SOLUTION FINALE. EN JANVIER 1915, UN NOUVEAU PAS FUT FRANCHI. ENVER DECRETA QUE TOUS LES MILITAIRES ARMENIENS DEVAIENT ETRE DESARMES. ILS FURENT DONC RETIRES DES ZONES DE COMBATS ET EMPLOYES AUX TRAVAUX DE CONSTRUCTION OU DE VOIRIE. LES CIRCONSTANCES N’ETAIENT PAS, POURTANT, FAVORABLES A LA TURQUIE. L’EXPEDITION DE DJEMAL SUR LE CANAL DE SUEZ AVAIT TOURNE COURT. EN FEVRIER, LA FLOTTE ALLIEE BOMBARDAIT LES DARDANELLES ET LA SITUATION INTERIEURE ETAIT CATASTROPHIQUE : LE COMMERCE RUINE PAR LES REQUISITIONS ET LE BLOCUS, LE TRESOR VIDE. À CONSTANTINOPLE, LE GOUVERNEMENT CRAIGNAIT UNE REVOLTE GENERALE ET CHAUFFAIT LES TRAINS DE L’EXIL VERS L’ASIE MINEURE. ISOLEE DE SES ALLIES, SANS MUNITIONS, LA TURQUIE ETAIT A LA VEILLE DE S’EFFONDRER. MAIS LE 18 MARS, APRES AVOIR ESSUYE LA PERTE DE SEPT NAVIRES, LA FLOTTE ALLIEE LEVAIT LE SIEGE, ALORS QUE CONSTANTINOPLE ETAIT A SA PORTEE. LE VENT AVAIT TOURNE. LA FOUDRE ALLAIT S’ABATTRE SUR LES ARMENIENS.
AUX PIRES MOMENTS DE LEURS DEFAITES, LES JEUNES-TURCS N’ONT PAS FLECHI DANS LEUR RESOLUTION D’EXTERMINER LES ARMENIENS. UNE LETTRE ECRITE LE 18 FEVRIER A DJEMAL BEY, VALI D’ADANA, PAR UN MEMBRE DU COMITE CENTRAL, TEMOIGNE SANS DETOURS DE CETTE DETERMINATION. ON PEUT Y LIRE :
« LE DJEMIET A DECIDE DE SUPPRIMER TOUS LES ARMENIENS HABITANT EN TURQUIE, SANS LAISSER VIVANT UN SEUL INDIVIDU ET A DONNER AU GOUVERNEMENT DE LARGES PREROGATIVES A CE SUJET1. »
LE 25 MARS, UNE LETTRE DE MEME SOURCE, TOUJOURS ADRESSEE A DJEMAL BEY, CONFIRMAIT QUE « LE DJEMIET A PRIS LA DECISION DE REDUIRE JUSQU’A LA RACINE ET D’ANNIHILER DESORMAIS LES DIVERSES FORCES QUI COMBATTENT CONTRE LUI », ET PRECISAIT « QU’IL FAUDRA MALHEUREUSEMENT RECOURIR A DES MOYENS TRES SANGLANTS ». « POUR LE MOMENT, AJOUTAIT CE DOCUMENT, IL A ETE JUGE OPPORTUN DE PUNIR PAR DES MOYENS LEGAUX LES NOTABLES SEULEMENT, CE QUI SERA LE POINT DE DEPART POUR LES OPERATIONS FUTURES. » LES MESURES PRISES LE 24 AVRIL 1915 A CONSTANTINOPLE SONT DEJA ANNONCEES.
D’AILLEURS, A LA FIN MARS 1915, LA DERNIERE ETAPE DU GENOCIDE COMMENÇAIT. LE PREMIER COUP FUT FRAPPE CONTRE ZEÏTOUN, BASTION TRADITIONNEL DE LA RESISTANCE ARMENIENNE, OBJET DE TERREUR CHEZ LES TURCS. EN DECEMBRE 1914, LES ZEÏTOUNIOTES AVAIENT ETE DESARMES. IL NE RESTAIT PLUS QU’A LES ATTAQUER. AU DEBUT DE MARS, 4 000 A 6 000 SOLDATS TURCS SE MIRENT EN MARCHE POUR ENCERCLER LA VILLE QUI SE RENDIT A LA FIN DU MOIS. LA DEPORTATION COMMENÇA EGALEMENT A DEURT-YOL, AU DEBUT D’AVRIL, ET LES NOTABLES DE TREBIZONDE FURENT ARRETES LE 21 AVRIL. ON PEUT DONC CONSIDERER COMME UN TISSU DE MENSONGES LES ALLEGATIONS TURQUES VISANT A TRANSFORMER L’OPERATION DU 24 AVRIL EN UNE MESURE DE SECURITE NECESSITEE PAR LA REVOLTE DES ARMENIENS DE VAN.
LES EVENEMENTS DE VAN SONT BIEN CONNUS. LA REVOLTE DES ARMENIENS DANS CETTE VILLE FUT UN SURSAUT HEROÏQUE, EXPLOITE OPPORTUNEMENT PAR L’ITTIHAD. LE VALI DE VAN, DJEVDET BEY, BEAU-FRERE D’ENVER, N’AVAIT PAS CACHE SES INTENTIONS DANS UNE DECLARATION PUBLIQUE EN FEVRIER 1915 : « NOUS AVONS FAIT TABLE RASE DES ARMENIENS ET DES SYRIENS1 EN AZERBAÏDJAN. IL NOUS FAUT FAIRE LA MEME CHOSE AVEC LES ARMENIENS A VAN. » LES ENVIRONS DE VAN FURENT DEVASTES. LE 15 AVRIL, DJEVDET ATTIRAIT DANS UN PIEGE QUATRE CHEFS DASCHNAK ET LES FAISAIT ASSASSINER, PUIS IL ENCERCLAIT LA VILLE, ET LE 20 AVRIL, LE QUARTIER ARMENIEN ETAIT BOMBARDE. AVEC UN ARMEMENT DERISOIRE, PRIVEE DE SES HOMMES VALIDES, LA POPULATION ARMENIENNE RESISTA. ELLE TIENDRA JUSQU’AU 18 MAI 1915, OU L’AVANCE DE L’ARMEE RUSSE LA DELIVRERA.

LE PLAN D’EXTERMINATION COMPORTAIT QUATRE ETAPES :
– LE DESARMEMENT GENERAL DES ARMENIENS.
– L’ARRESTATION DES NOTABLES.
– LA DEPORTATION DES VIEILLARDS, DES FEMMES ET
DES ENFANTS.
– ENFIN, L’ASSASSINAT PROGRESSIF PAR PETITS GROUPES, SUR LES ROUTES DE LA DEPORTATION ET A SON TERME.

DE LA CONCEPTION DU PLAN EN 1911 JUSQU’A LA MORT DES DERNIERS DEPORTES EN 1916, DANS LES SABLES DE MESOPOTAMIE, IL N’Y A AUCUNE FAILLE, AUCUNE FAUTE TECHNIQUE, AUCUNE PITIE, RIEN QUE DE L’HYPOCRISIE, DU CYNISME, DE LA CRUAUTE, DE LA BOUE ET DU SANG. LES ASSASSINS EXPLOITERENT LES EVENEMENTS AVEC UNE HABILETE DEMONIAQUE ET DENATURERENT LES FAITS AVEC LA MAUVAISE FOI LA PLUS TOTALE. L’ŒUVRE DU DJEMIET DEMEURE, A MA CONNAISSANCE, L’UN DES CRIMES CONTRE L’HUMANITE LES PLUS PARFAITS DANS LA RIGUEUR DE SA CONCEPTION ET DE SON EXECUTION QUE L’ON PUISSE RELEVER DANS L’HISTOIRE CONTEMPORAINE POURTANT RICHE EN FORFAITS.
ON ME RETORQUERA, PEUT-ETRE, QUE LES DOCUMENTS SUR LESQUELS JE FONDE MES AFFIRMATIONS, SONT APOCRYPHES ET QUE JE NE FAIS APPEL QU’A UNE DOCUMENTATION ARMENIENNE. ET LA CONTROVERSE DE REBONDIR. LA VERITE HISTORIQUE EST COMME UN PUZZLE. LES PIECES S’ADAPTENT OU NE S’ADAPTENT PAS. ET DANS LA QUESTION DU GENOCIDE ARMENIEN, ELLES
S’ADAPTENT PARFAITEMENT. ON PEUT MEME SUBSTITUER AUX PIECES ARMENIENNES DES PIECES TURQUES ET ELLES ONT TOUT AUTANT VALEUR DE PREUVES, CAR ELLES METTENT EN LUMIERE LEUR TECHNIQUE DE DISTORSION DES FAITS.
LA DEPORTATION ETAIT ENGAGEE DEPUIS UN MOIS LORSQUE, LE 24 MAI 1915, LES NATIONS DE L’ENTENTE PUBLIERENT UNE MISE EN ACCUSATION DU GOUVERNEMENT OTTOMAN. ALORS, SEULEMENT, TALAAT SONGEA A PROTEGER SES ARRIERES. DANS UN COMMUNIQUE ADRESSE AU GRAND VIZIR, IL ENUMERA LES MOTIFS QUI L’AVAIENT CONDUIT A DECIDER LA DEPORTATION DES ARMENIENS : LES ARMENIENS VIVANT DANS LES ZONES DE GUERRE AURAIENT GENE LES ACTIVITES DE L’ARMEE, FAIT CAUSE COMMUNE AVEC L’ENNEMI, ATTAQUE LES FORCES MILITAIRES TURQUES ET MASSACRE LA POPULATION MUSULMANE ; ILS AURAIENT RAVITAILLE LA FLOTTE ENNEMIE ET LUI AURAIENT INDIQUE L’EMPLACEMENT DES PORTS TURCS.
LE 30 MAI, UNE DECISION DU CONSEIL DES MINISTRES CONFIRMAIT LA NECESSITE DES DEPORTATIONS, MAIS DONNAIT A LA LOI UNE APPARENCE HUMANITAIRE GARANTISSANT LES BIENS ET LES PERSONNES DES DEPORTES. TOUT AU LONG DE 1915, LE GOUVERNEMENT OTTOMAN DECLARA DANS DES COMMUNIQUES REPETES QUE CES MESURES PREVENTIVES ETAIENT SEULEMENT DIRIGEES CONTRE DES INSURGES ARMENIENS ET DES AGENTS DE L’ENTENTE, ET QU’ELLES ETAIENT DES MESURES DE DEFENSE NATIONALE.
ON PEUT REPONDRE POINT PAR POINT A CES AFFIRMATIONS MENSONGERES.
– TOUS LES HOMMES VALIDES AVAIENT ETE MOBILISES, PUIS DESARMES ET REPARTIS EN PETITS COMITES.
– LA POPULATION RESTANTE AVAIT ETE SOIGNEUSEMENT PERQUISITIONNEE ET TOUTES LES ARMES SAISIES. QUI ETAIENT DONC CES ARMENIENS QUI AVAIENT GENE LES ACTIVITES DE L’ARMEE OTTOMANE, ATTAQUE LES FORCES MILITAIRES TURQUES ET MASSACRE LA POPULATION MUSULMANE ? BIEN SUR, QUELQUES ARMES AVAIENT ECHAPPE AUX PERQUISITIONS, ET IL RESTAIT, REFUGIES DANS LES MONTAGNES OU VENUS DE LA FRONTIERE RUSSE, QUELQUES HOMMES VALIDES, QUI AVAIENT DECIDE DE RESISTER A L’OPPRESSION. MAIS CE N’ETAIENT QUE QUELQUES ARMES ET QU’UNE POIGNEE D’HOMMES INCAPABLES DE MENACER L’ARMEE OTTOMANE. ET JAMAIS ON N’A PU PROUVER DE MASSACRE DE POPULATION MUSULMANE PAR UN GROUPE DE RESISTANTS ARMENIENS DE TURQUIE. QUANT AUX ARMENIENS QUI, EN CILICIE, AURAIENT AIDE LA FLOTTE ANGLO-FRANÇAISE, ON SERAIT BIEN EN PEINE D’EN DONNER LES NOMS ET DE CITER LES LIEUX DE CETTE COLLUSION FICTIVE.
ENFIN, IL Y EUT LES VOLONTAIRES ARMENIENS DE L’ARMEE RUSSE. C’ETAIENT POUR LA PLUPART DES ARMENIENS DE RUSSIE. SANS PORTER LE DEBAT SUR L’ATTITUDE DU PARTI DASCHNAK RUSSE ET SANS RAPPELER COMBIEN CELUI-CI FUT BERNE PAR LES PROMESSES DU GOUVERNEMENT TSARISTE QUI AVAIT ABANDONNE DEPUIS PEU UNE TRADITION SECULAIRE DE PERSECUTION ARMENIENNE, ON NE SAURAIT ACCUSER DES RUSSES EN GUERRE CONTRE LA TURQUIE D’AVOIR COLLABORE AVEC UNE ARMEE RUSSE. QUANT A LA PRESENCE DANS CES CORPS DE VOLONTAIRES DE REFUGIES ARMENIENS DE TURQUIE, ELLE N’ENGAGEAIT QUE DES INDIVIDUS ISOLES, MAIS PAS UNE NATION D’UN MILLION ET DEMI DE PERSONNES. QUE LES ARMENIENS AIENT SOUHAITE EN LEUR CŒUR LA VICTOIRE DES ARMEES RUSSES, C’EST CERTAIN. MAIS ILS N’ONT RIEN FAIT, EN DEPIT DE L’OPPRESSION INTOLERABLE DONT ILS ETAIENT VICTIMES, POUR GENER L’EFFORT DE GUERRE TURC.
MAIS ALLONS PLUS LOIN. EN ADMETTANT, CE QUI EST DEJA ENORME, QUE LES VIEILLARDS, LES FEMMES ET LES ENFANTS DES PROVINCES ORIENTALES AIENT, PAR LEUR ATTITUDE, JUSTIFIE LES MESURES DE DEPORTATION, OU SONT LES GARANTIES DONNEES PAR LE DECRET DU CONSEIL DES MINISTRES OTTOMAN, LE 30 MAI ? QUE SONT DEVENUS LEURS BIENS, SINON LA PROPRIETE DES TURCS ? QUE SONT DEVENUES LEURS PERSONNES, SINON LA PROIE DES GENDARMES, DES BRIGANDS, DES KURDES ET DES VAUTOURS ? QU’ADVINT-IL DE LA POIGNEE DES SURVIVANTS PARVENUS AU TERME DU VOYAGE, ET DONT PERSONNE N’A RETROUVE LA TRACE ?
POURQUOI, OUI, POURQUOI, SOIXANTE ANS APRES, LE GOUVERNEMENT TURC, ISSU D’UN REGIME QUI A DESAVOUE LES ACTES DU GOUVERNEMENT DE 1915, CONTINUE-T-IL A N’EXCUSER LES JEUNES-TURCS QUE SUR UN POINT, CELUI DU FORFAIT LE PLUS CRAPULEUX QU’ILS AIENT COMMIS, L’EXTERMINATION DES ARMENIENS VIVANT EN TURQUIE ? POURQUOI NE PAS REPLACER LE CAS DU GENOCIDE ARMENIEN DANS SON CONTEXTE HISTORIQUE EXACT : CELUI D’UNE MINORITE CONDAMNEE PAR UNE CONJONCTURE POLITIQUE IMPERIEUSE. CAR LE CAS DE L’ARMENIE VIENT ILLUSTRER CETTE REGLE D’OR DU JEU D’ECHECS QUI VEUT QUE L’ON SACRIFIE UN PION POUR PROTEGER UNE PIECE MAITRESSE. LA TRAGEDIE ARMENIENNE TIRE SA SOURCE D’UN CONTEXTE GEOGRAPHIQUE. LE PLATEAU ARMENIEN EST LA POSITION CLEF DE L’ASIE MINEURE. IL CONTROLE LA TRANSCAUCASIE, ET PAR-DELA LA CASPIENNE, LA STEPPE ASIATIQUE. IL SURPLOMBE LA PLAINE DE MESOPOTAMIE ET SE COULE A TRAVERS LA CILICIE JUSQU’A LA MEDITERRANEE. JADIS, SUR LA ROUTE TERRESTRE DES INDES, IL OUVRAIT AU XXE SIECLE LA VOIE VERS LES CHAMPS PETROLIFERES DU CAUCASE ET DU GOLFE PERSIQUE. DANS L’ENJEU D’UNE GUERRE MONDIALE ENTRE LES PUISSANCES IMPERIALISTES, SA POSSESSION REVIENDRAIT AU VAINQUEUR, C’EST-A-DIRE A LA RUSSIE OU A LA TURQUIE, TANDIS QUE LES AUTRES PUISSANCES SE PARTAGERAIENT D’AUTRES DEPOUILLES DE L’EMPIRE OTTOMAN. VOILA LE MOTIF.
LA QUESTION EST DE SAVOIR SI LES HOMMES POLITIQUES PEUVENT GARDER LE FRONT HAUT QUAND DE TELS CRIMES ONT ETE COMMIS. LA REPONSE EST QUE LA HONTE DU GOUVERNEMENT DE L’ITTIHAD EST NOTRE HONTE A TOUS ET LE DEMEURERA TANT QU’UNE CONSPIRATION DU SILENCE S’ETABLIRA AUTOUR DU GENOCIDE ARMENIEN, TANT QUE SERA CAUTIONNEE L’ARGUMENTATION SPECIEUSE DES « TERRIBLES SIMPLIFICATEURS » DE L’HISTOIRE TURQUE ET TANT QUE LA VIEILLE REALITE DE LA LUTTE POUR LA VIE QUI EXIGE L’ELIMINATION DU PLUS FAIBLE SERA TRANSPOSEE DANS LE DOMAINE POLITIQUE.
MESDAMES, MESSIEURS, VOUS ETES ARMENIENS, ET JE NE LE SUIS PAS. POURTANT, JE FAIS MIENNE VOTRE DOULEUR, CAR ELLE ME CONCERNE EN TANT QUE MEMBRE DE LA COMMUNAUTE HUMAINE. PLUS QUE DEPOSITAIRE DE VOTRE HISTOIRE, JE ME VOUDRAIS ECLAIREUR D’UN MOUVEMENT QUI VIENDRAIT BRISER LES MURS DE L’IGNORANCE DANS LESQUELS ON VEUT VOUS ENFERMER, ET DANS LESQUELS, PEUT-ETRE, IL VOUS ARRIVE DE VOUS ENFERMER EN FAISANT DE CE GENOCIDE VOTRE AFFAIRE ALORS QU’ELLE EST AUSSI LA NOTRE. ET, PUISQUE LES DECADES ONT UNE SIGNIFICATION TRADITIONNELLE, JE SOUHAITE QUE SOIT PREPAREE LA CELEBRATION DU SOIXANTIEME ANNIVERSAIRE DE VOTRE DEUIL NATIONAL DANS LA CONVOCATION DES HISTORIENS LES PLUS CELEBRES D’AUJOURD’HUI A UNE TABLE RONDE OU SERAIT PORTEE AU GRAND JOUR LA CONTROVERSE ENTRE LES ARMENIENS ET LE GOUVERNEMENT TURC ET D’OU, A DEFAUT DE LA JUSTICE, JAILLIRAIENT LA VERITE ET LA LUMIERE.

(HARATCH, 8, 9 ET 10 MAI 1974)
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Ce livre retrace un itinéraire de trente années de collaboration épisodique au quotidien arménien Haratch. Ce sont là vingt articles d'un historien qui, par moments, a besoin de s'exprimer hors de l'enceinte d'une université bridée par des règles de courtoisie et de hausser le ton pour jeter quelques éclats de voix afin d'apaiser son indignation devant le mensonge et la mauvaise foi. Ce sont aussi des hommages rendus en maintes occasions. Ce sont enfin des jalons qui marquent l'évolution du double processus de connaissance et de reconnaissance du génocide arménien, des années de turbulences d’une mémoire arménienne blessée par le négationnisme aussi obsessionnel qu'absurde de la Turquie.

Yves Ternon est docteur en histoire. Il a consacré l'essentiel de son œuvre à des recherches sur les génocides perpétrés au XXe siècle. Il a notamment publié Les Arméniens, histoire d’un génocide, Éditions du Seuil, 1977, Éditions du Seuil, coll. « Points Histoire », 1996 ; L’État criminel. Les génocides du XXe siècle, Éditions du Seuil, 1995 ; Innocence des victimes. Au siècle des génocides, Desclée de Brouwer, 2000 et Empire ottoman. Déclin, chute, effacement, Le Félin-Éditions Michel de Maule, 2002, Le Félin Poche, 2005.